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Depuis le 7 juillet 2023, Abdellatif Ouahbi a pour conseiller un certain Mohamed Abdelouahab Rafiqui, connu jadis sous le sobriquet d’“Abou Hafs” dans les milieux salafistes dont il était une des grandes figures publiques au Maroc au début des années 2000. Ayant depuis lors tourné casaque, il dit aujourd’hui “promouvoir des valeurs de tolérance et du juste milieu qui sont aux antipodes de ce que [lui a] été”. Et cela semble donc passer par lui par un coup de main au secrétaire général du Parti authenticité et modernité dans sa croisade pour l’introduction de changements dans les textes juridiques actuels plus favorables aux libertés individuelles.
Alors que l’on vous avait déjà annoncé il y a plusieurs semaines comme nouveau conseiller du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, vous venez finalement d’officialiser la chose après la fin des procédures administratives requises, comme vous l’avez expliqué à d’autres médias. Pouvez-vous nous en dire plus sur les dessous de cette nomination?
C’est tout simplement que M. Ouahbi, que je connais en fait depuis belle lurette, et moi-même avons récemment eu l’occasion de participer à une série de conférences, dont le 18 avril 2023 à l’hôtel Dawliz à Salé à l’invitation de la Fondation Lafqui Titouani, dans le cadre du projet de réforme du code pénal actuellement en cours dans notre pays. Ce qui nous a permis d’échanger plus ou moins longuement à ce propos, aussi bien en public qu’en privé, et de ce fait est venue sa proposition de rejoindre son cabinet que j’ai accepté d’emblée, sans la moindre hésitation.
Pourquoi donc?
Parce que c’est pour moi l’opportunité de participer à la mise en oeuvre d’un certain projet de société que je défends depuis plus de dix ans, depuis plus précisément ma libération de prison suite à ma condamnation dans le cadre des attaques du 16 mai (prêcheur salafiste, M. Rafiqui, qui se faisait alors appeler “Abou Hafs”, avait été condamné à 30 ans de prison par la chambre criminelle de Casablanca, ndlr). En termes plus clairs, j’essaie à mon modeste niveau de promouvoir des valeurs de tolérance et du juste milieu qui sont aux antipodes de ce que moi j’ai été, des idées mortifères qui elles-mêmes tranchent avec notre fondement civilisationnel marocain.
Notamment au plan des libertés individuelles?
Effectivement.
Est-ce que le fait que vous ayez donné suite à la sollicitation de M. Ouahbi veutil dire que vous êtes en accord avec lui à ce propos?
Bien évidemment. Sur les grandes lignes en tout cas, nous partageons la même perception des choses, et pour être plus précis les mêmes idées. Sinon il aurait été aussi bien difficile pour lui que pour moi de collaborer.
Un des aspects controversés de la réforme Ouahbi, si l’on peut la qualifier de telle, est de dépénaliser les relations sexuelles hors mariage, que l’on appelle plus communément dans le débat public actuel sous le vocable arabe de “relations consenties”. On peut comprendre que vous êtes pour. Quelle est votre vision exacte par rapport à ce point en particulier?
Je pense que l’État n’a tout simplement pas à se mêler de la vie privée des gens tant qu’ils ne font pas de mal à autrui. Et en l’espèce, il ne devrait normalement pas avoir le droit de s’introduire dans les chambres à coucher des citoyens. Cela correspond d’ailleurs à ce que dit l’islam. À l’époque du prophète et des compagnons, personne n’espionnait les gens pour s’assurer qu’ils ne commettaient pas d’adultère. C’est dans des cas très particuliers que les peines s’appliquaient; il fallait notamment plusieurs témoins, et sans cela on pouvait se retrouver soi-même à être taxé de calomnie et risquer de se voir condamner. Les lois actuelles constituent donc une sorte d’innovation a posteriori.
Mais quid de l’héritage, également abordé dans le cadre d’une autre réforme menée parallèlement à celle du code pénal, qui est celle du code de la famille? A ce propos, d’aucuns vous opposeront et opposent déjà à M. Ouahbi que le texte coranique est clair et limpide et accorde sur décret divin à l’homme deux parts là où la femme n’en a droit qu’à une seule…
Là aussi il s’agit d’une interprétation humaine du Coran. Soit, effectivement, vous décidez de vous-mêmes de prendre le Coran à la lettre, et dans ce cas on s’arrête à l’interprétation dont vous avez fait mention. Donc pas d’égalité en héritage entre l’homme et la femme. Soit on se dit que les versets en question couvrent une intention qu’il faut expliciter, et qu’en fonction de cette intention on peut faire des adaptations selon le temps et l’espace où l’on vit. C’est, pour utiliser un terme juridique musulman, la recherche des “maqassids”, face à une lecture obtue qui n’est en fin de compte pas plus valide parce qu’elle est littérale.
Est-ce que vous seriez parvenu, de la sorte, à convaincre le “Abou Hafs” d’il y a vingt ans si vous l’aviez en face de vous?
Pas forcément. Mais après? Vous savez, on évolue tout le temps, on ne peut pas s’arrêter à des opinions qu’on a portées un jour, et il se peut très bien que demain, en me reposant la question sur ce sujet du code pénal, je vous dise autre chose. C’est le propre de la recherche de la vérité, qui doit vous amener à constamment vous remettre en question et constamment remettre en question ce que vous tenez ou pensez tenir pour immuable. C’est quelque chose que j’accepte de plus en plus en moi, surtout avec l’aide de l’âge qui m’aide plus généralement à relativiser. Appelons cela la maturité, peut-être. Mais d’un autre côté, cela ne signifie pas que je suis ouvert à tous les vents; pour passer d’Abou Hafs à Mohamed Abdelouahab Rafiqui, j’ai dû faire un grand travail sur moi-même. J’ai dû lire, beaucoup lire. Mener une introspection de fond sur mes convictions. Puis les remettre à plat, jusqu’à ce que je me retrouve sur une voie tout-à-fait opposée. Et donc voilà, le cheminement continue, et moi je continue d’avancer à la vitesse de mes différentes expériences de vie -y compris celles de l’obscurantisme.
Certains de vos adversaires redoutent, ou disent en tout cas redouter, que ce cheminement puisse justement aller trop loin. Citons nommément le secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD) et ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane. Dans une conférence qu’il vient de donner ce 9 juillet 2023 à Béni Mellal, il s’est directement attaqué à M. Ouahbi et a d’ailleurs fait allusion à vous à un moment, comme vous avez dû le suivre. Son propos est que si l’on commence par une réforme du code dans un sens élargissant le cadre des libertés individuelles, le Maroc peut se retrouver au bout du compte à paver la voie au post-modernisme, aux débats notamment en cours actuellement en Occident sur l’identité de genre…
C’est de la surenchère de la part de M. Benkirane, je pense que c’est évident et que je n’ai même pas besoin de m’attarder dessus. Il sait pertinemment que ni moi ni M. Ouahbi ne défendons un tel agenda et que nous n’avons même jamais pris la parole sur ces sujets. Et ce n’en est d’ailleurs pas le lieu, notre mot d’ordre actuel c’est le code pénal et celui de la famille. Ni plus ni moins.
Mais toujours est-il que si M. Benkirane s’avance sur ce terrain, c’est qu’il doit aussi savoir que cela parle à beaucoup de gens, pour ne pas dire une majorité d’entre eux. Votre nomination elle-même a d’ailleurs été considérée comme une tentative de M. Ouahbi de donner un cachet islamique à sa réforme, étant donné que son discours droit-del’hommiste coutumier ne semblait pas vraiment trouver d’écho. Pensez-vous vraiment avoir la marge de manoeuvre de vos ambitions?
Oui, je le crois sincèrement; en tout cas, je parle de ce que moi et M. Ouahbi défendons. Si c’est ce dont nous sommes en train de discuter, alors nous n’avons jamais eu dans l’intention de sortir du cadre posé par le dernier discours du trône, où il avait été question de la part du Roi de ne pas autoriser ce que Dieu a prohibé et ne pas interdire ce qu’il a autorisé. Les interprétations qu’on peut faire de nos sorties respectives n’engagent, elles, que ceux qui les portent.
Ce serait quoi pour vous une réforme réussie du code pénal et de celui de la famille?
Notre objectif premier, c’est d’adapter les textes en vigueur à la réalité de notre société, voilà tout, et de le faire dans ce que les constantes de notre pays permettent. Les jeunes d’aujourd’hui, qui ont des moeurs différentes de leurs aînés d’il y a 60-70 ans, au moment de l’indépendance, n’ont pas à subir ce qu’ils n’ont pas choisi. Ils ont au moins le droit de discuter de ce qu’ils veulent, et mon impression personnelle, et elle est là la raison de mon engagement, est qu’ils veulent autre chose. Écoutons-les donc.
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