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Manger, dormir, apprendre – La Croix

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Geneviève Jurgensen revient dans sa chronique sur le moment très particulier de la rentrée scolaire, cet événement national incomparable, et les polémiques qui y sont, année après année, immanquablement associées.
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Manger, dormir, apprendre
Geneviève Jurgensen
CHRISTOPHER EVANS
À une amie marocaine avec laquelle je bavardais jeudi soir au téléphone, je demandais comment se préparait la rentrée scolaire de ses filles, deux adolescentes. Ce n’était pas une question anodine, s’agissant de leur première rentrée sans leur père, décédé au mois de juin. Mon amie me racontait que l’été avait fait diversion, parce que la famille y était traditionnellement un peu éparpillée, mais que cette rentrée sans « lui », toujours si impliqué dans les études des petites, serait une étape importante pour prendre conscience de la nouvelle réalité du foyer.
« Sans m’en parler, Malika (1) a pris l’initiative d’aller vendre ses manuels de l’an dernier. Il a fallu que je la rassure en lui disant que nous n’étions pas pauvres, que nous n’allions pas mourir de faim », me raconta-t-elle pour illustrer le silencieux désarroi de ses filles. « Je penserai à vous trois lundi », ai-je promis, avant de me raviser : « C’est quand, la rentrée, chez toi ? » Elle m’a répondu que c’était bien lundi, le même jour qu’en France, et ça m’a fait plaisir.
S’il est un jour dans l’année où les parents du monde entier ont la conviction de faire ce qu’il faut pour leur enfant, c’est celui-là. Même (surtout ?) ceux pour lesquels l’école ne fut pas qu’une partie de plaisir, même ceux qui, par ailleurs, doutent de tous leurs choix éducatifs. Chaque année, le jour de la rentrée les libère de leurs ambivalences. Reconnaissons-le, l’unanimité est aussi et prosaïquement renforcée par un sentiment de soulagement terre à terre : après de longues vacances, les enfants reprennent enfin un rythme, des horaires, une routine. Les choses rentrent dans l’ordre.
Des classes de maternelle aux classes de terminale, 12 millions d’enfants font aujourd’hui leur rentrée. Si l’on compte leurs parents et grands-parents, ainsi bien sûr que les enseignants – qui appartiennent souvent eux-mêmes à plusieurs de ces catégories –, la rentrée scolaire est un événement national incomparable. Je n’en vois pas d’autre qui interpelle tant de gens, de tous âges, qui les prenne aux tripes, si profondément, tous le même jour, et avec globalement les mêmes aspirations : que l’enfant qu’ils élèvent, l’enfant sur lequel ils veillent, l’enfant qu’ils aiment apprenne bien.
On se demande comment, sur un terrain aussi fertile, on fait pousser des polémiques aussi aigres. Elles sont innombrables et ne loupent pas une rentrée. Elles ont porté sur les méthodes d’apprentissage de la lecture ou de l’enseignement de l’histoire, sur les effectifs, le système de notation, la carte scolaire, les rythmes scolaires, elles ont porté sur l’enseignement privé, la date de rentrée, sur son coût (quasiment chaque année), sur l’usage de l’allocation qui lui est spécifique, il y en eut une infinité.
La polémique cette année concerne le port en classe de l’abaya. Pourquoi ces divisions, alors qu’on devrait profiter de ce jour unique pour célébrer, pavoiser, décorer les rues et sortir les fanfares ? Qu’avons-nous en commun dont nous attendions davantage que de l’école ? Le trésor de la paix, évidemment, mais nous en abandonnons la gestion à ceux qui sont là, estimons-nous paresseusement, pour s’occuper de ces questions. Le vœu de voir son enfant apprendre, s’instruire, se traduit, lui, par des actions concrètes et des émotions fortes, dans tous les milieux, en toutes circonstances, et en dehors de tout esprit de compétition.
Cet esprit peut exister secondairement bien sûr, mais avant tout chacun veut que son enfant s’instruise plutôt que pas. L’école est pour les parents une nécessité aussi fondamentale que manger ou dormir, elle touche à l’irrationnel, je suis tentée de dire qu’elle touche à l’instinct. Sans doute percevons-nous que le savoir, comme à leur façon la nourriture ou le sommeil, nous préserve de la peur, de la violence, de la mort.
Cette première rentrée de Malika et de sa grande sœur privées du regard de leur père est donc pour leur mère un enjeu particulier. Si leurs résultats, dont elles le savaient heureux, se maintiennent, mon amie pourra sans doute penser que le choc et le chagrin de leur deuil, grands et récents, ont heureusement épargné l’appétit de vivre de ses filles. Elle est surtout convaincue qu’apprendre aide aussi à supporter l’insupportable, à accepter l’inadmissible, et que les professeurs qui vous marquent, dans une vie d’élève, vous enrichissent toujours sans le vouloir et sans le savoir au-delà de la matière qu’ils enseignent.
Ce sont à ces rencontres que se hasardent aujourd’hui 12 millions d’élèves dans notre pays, comme des millions d’autres au Maroc et ailleurs, et mes propres pensées vont spontanément à celle qui fut pour moi, il y a longtemps, au bon moment, cette rencontre-là.

(1) Le prénom a été changé.
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