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L'inflation et le surenchérissement des notes dans l'enseignement … – Hespress Français

La question que je pose dans cet article est la suivante : « L’inflation des notes que nous observons depuis plusieurs années maintenant dans l’enseignement supérieur marocain est-elle un indicateur de la qualité des lauréats qui se présentent sur le marché du Travail ? ».
Lorsque vous interrogez aujourd’hui les entreprises, la plupart vous disent qu’elles ont d’inextricables difficultés à trouver des profils tels qu’une secrétaire, un ouvrier, un technicien qui puissent lire et comprendre le français, ou encore un bac plus 5 ou ingénieur en phase avec les « espérances ».
Dans l’agro-alimentaire toute une série de petits métiers sont devenus nécessaires pour la firmes. Les entreprises agro-alimentaires, dirigées selon des normes internationales, qui ont des ambitions à la fois sur le marché national et le marché de l’export, vous diront que la recherche de ces petits métiers s’apparentent à une quête du Graal.
Se mettre à la recherche d’une secrétaire capable de rédiger un courrier en français s’apparente à un véritable chemin de croix. Quant à l’anglais, me disait un chef d’entreprise, « il ne faut même pas rêver ».
Lorsqu’on rétorque à ces entreprises : « Mais il y a bien des institut de formation continue, des écoles privées qui forment des secrétaires, et plusieurs de ces métiers ? », elles vous répondent de manière catégorique : « Ces écoles ne forment pas ce qu’exige le marché du travail ».
Les inquiétudes sont d’autant plus grandes que ces entreprises déclarent que les notes obtenues dans les différentes disciplines du parcours scolaire, ne reflètent aucunement la qualité du candidat qui se présente à eux.
Notes exagérées, laxisme, refus de voir des étudiants doubler, chute du niveau de qualité des lauréats, voici à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, sans qu’aucun responsable du ministère de l’éducation ou de l’enseignement supérieur ne puisse réfuter cette amère vérité.
Que signifie 18 ou 19 sur 20 dans une dissertation d’économie, ou de droit ou d’histoire ? L’étudiant est-il devenu un génie qu’on ne connaissait pas ?, un nouveau John Maynard Keynes de l’économie ?
Même les soutenance de mémoire n’échappent pas à cette inflation des notes ? Que signifie mention très honorable avec félicitations du jury, c’est à dire 18 sur 20 ? Mention honorable pour des travaux de fin d’études qui, parfois, ne méritent même pas d’être soutenus.
Dans les instituts d’enseignement et de recherche, les mentions « très honorable », 18 sur 20 sont distribués comme des petits pains au chocolat. Dans certains établissements de l’enseignement supérieur, proclamer simplement la mention honorable devient la honte suprême aux yeux du public et de ses parents et ses proches.
Quant à l’admission avec mention passable, elle s’apparente à une mise à mort. Je me rappellerai toujours d’un étudiant, qui, une fois, a refusé de saluer les membres de jury après l’obtention de sa note.
Attardons nous sur cette question. Un travail de fin d’études ou même une thèse qui est accueillie avec 18/20, est ce que cela signifie qu’il manque juste deux points à ce mémoire pour obtenir la suprême note de 20 sur 20 ?. un parfait à tout point de vue. 18/20 ? Sommes-nous entrain de former des génies de l’économie, du droit, des sciences agronomiques, de l’ingénierie ?
Qu’est ce qui explique cette inflation des notes ? La volonté de faire passer le maximum d’étudiants, et de refuser l’échec pour des motifs de paix sociale ? j’ai eu l’occasion d’assister à des délibérations où l’objectif quantité prime sur l’objectif qualité. Est-ce l’incapacité à inverser de mauvaises habitudes qui se sont installées ? Mais ce raisonnement implique une facture « salée » dont toute la société devra s’acquitter. Un véritable nivellement par le bas où la qualité est sacrifiée au profit de la quantité !
Des objectifs quantitatifs sont réalisés, mais à quoi cela sert-il de former des personnes complétement inadaptées aux besoins des entreprises ?
En attendant, les firmes ne trouvent pas sur le marché national de « quoi se mettre sous la dent ». Une famine de compétences fortement préjudiciable. Beaucoup d’entreprises sont obligés de « re former », de recycler, les lauréats afin de combler les déficits de la formation initiale.
Mais beaucoup d’entreprises avouent également, que souvent, il est impossible de former la personne en raison de déficiences trop marquées. Car comment former une secrétaire à rédiger un courrier en français ? faut-il lui refaire son parcours scolaire ?
Pour toute une série de personnes, la formation de l’entreprise ne sert à rien. Ils sont « in formables », en raison de défaillances structurelles. De plus, une formation systématique serait une perte de temps pour l’entreprise qui souhaite se focaliser sur des objectifs stratégiques précis, privilégiant l’amélioration continue pour éviter l’obsolescence de la recrue, et non refaire sa formation initiale.
Finalement, il devient illusoire de se targuer d’être un pays où les coûts salariaux sont faibles, et de le crier à tue-tête, comme un critère incontestable de la compétitivité marocaine.
Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que même les profils d’ingénieurs sont en perte de vitesse, au cours de ces quinze dernières années. Des entreprises agro-alimentaires affirment que l’ingénieur recruté n’a souvent qu’un objectif de carrière, arriver rapidement, et ne comprend pas que la réussite professionnelle est conditionnée par un apprentissage continu et une accumulation d’expérience. Beaucoup d’ingénieurs sont à l’aise dans les bureaux, et non sur le terrain. On les appelle les ingénieurs de bureau.
La question de la langue est soulevée très souvent. Des ingénieurs qui ne savent pas rédiger, qui ne maitrisent pas la langue française, de la même manière que la simple secrétaire déjà évoquée.
Les compétences en matière de « savoir être » manquent cruellement. Les insuffisances en esprit de leadership ne permettent pas à ces ingénieurs de gérer une équipe, ce que souvent ils sont appelés à faire. Ce qui nous place à des années-lumière des ingénieurs dans les pays occidentaux. « Parfois – me dit-on – un technicien supérieur niveau bac+2, en évoluant au sein de l’entreprise, se montre plus performant que l’ingénieur bac +5 ».
Si les entreprises marocaines sont confrontées à cette pénurie de petits métiers adaptés à leurs besoins, que dire des investissements directs étrangers ? Plusieurs entreprises, ou leurs filiales, se sont installés au Maroc et ne trouvent sur le marché de l’emploi ce qu’elles veulent, si ce n’est une véritable secrétaire, une véritable assistante de direction ? Ces entreprises n’ont plus que le choix de ramener avec eux des profils de compétence outre méditerranée. Mais une question redoutable se pose : « Quelle création d’emplois nationaux peut-on finalement attendre d’un investissement direct étranger ?. C’est toute la politique d’encouragement des IDE qui devient problématique, tant ses objectifs deviennent inatteignables ?
Toutes ces défaillances ne transparaissent pas dans les relevés de notes qui sont présentés, avec le diplôme, à l’entreprise, au moment du recrutement. 18 sur 20 partout, mais la recrue est incapable de diriger une équipe, davantage à l’aise dans un bureau, derrière un ordinateur que sur le terrain, incapable de rédiger un rapport dans un français correct, incapable même de tenir une conversation avec les partenaires étrangers de la firme locale.
Essayons de réfléchir aux causes de cet épuisement des compétences, corollaire d’une honteuse inflation des notes.
En réalité, cette situation est la conséquence du laxisme observé depuis plusieurs années. Au niveau du baccalauréat, nous observons depuis la réforme une surenchère des notes. Les 17 et 18 sur 20, voire des 19 sont devenus légion. Au concours d’entrée des grandes écoles, il faut désormais afficher des notes toutes proches de 20 sur 20. Avoir 15 voire 16 sur 20, c’est être un étudiant très moyen. Il faut surfer sur la vague des 17, 18 et 19 sur 20. On ne peut que se poser cette question : comment peut-on au niveau de l’année du baccalauréat, ou avant, se permettre de distribuer des notes aussi élevés ? L’élève marocain est-il devenu plus fort et plus performant que son homologue français, anglais, espagnol ou américain ? Dans ces conditions, quelle valeur a encore le baccalauréat marocain?
Pour aspirer à ces notes, une machine infernale, celle des cours de soutien, s’est mise en route. Les parents de la classe moyenne se « saignent » pour pouvoir assurer à leurs enfants ces cours, qui n’ont pour seul objectif que de réussir les épreuves, et non pas de développer les compétences. Ces écoles de cours de soutien affichent leur publicité insolente : « On vous garantit la réussite de vos enfants au bac! ».
Un professeur de médecine dentaire m’avouait ce constat qui donne froid au dos : « Nous recevons, en première année de médecine, des élèves avec un relevé de notes avoisinant les 18 sur 20, mais ils échouent en fin d’année. Ils ne passent pas en seconde année. C’est un gaspillage incroyable car ils prennent la place d’élèves qui, eux, auraient pu réussir ».
Les mécanismes de contrôle et de régulation au sein des établissements sont rangés au musée des oubliettes. A-t-on déjà entendu des étudiants surpris en train de tricher et frappés d’interdiction de se représenter à l’épreuve pour cinq ans ?
Les valeurs sociales de rigueur et de contrôle sont en perte de vitesse. Certains enseignants chercheurs distribuent les bonnes notes pour avoir la paix. D’autres pour ne pas à avoir à faire des rattrapages. D’autres encore ont simplement peur. Une « frousse » inexpliquée. « Si je le sanctionne pour fraude – me disait un jour un enseignant – il risque de m’attendre à la sortie de l’établissement et me poignarder ». Comme si notre société était devenue une véritable jungle où tout le monde dévore tout le monde.
Les vacataires octroient des notes qui frôlent les 20 sur 20 pour qu’on fasse appel à eux l’année suivante, des professeurs qui exagèrent les notes pour « camoufler » leurs défaillances, en vertu d’une règle qui veut qu’un étudiant qui a obtenu une excellente note ne remettra jamais en question les compétences de son enseignant bienfaiteur. Des parents qui interviennent pour qu’on revoit à la hausse la note de leurs enfants , etc.
La direction de ces établissements est la première responsable de ce glissement qui nous mène inexorablement à une impasse. Les carences en leadership chez certains directeurs, désignés, non pas sur leurs compétences mais pour satisfaire les desiderata des partis, via leurs ministres mandataires, explique que l’enseignant a une totale liberté d’appréciation. Le fait que ces directions refusent d’exiger un rapport annuel d’évaluation des activités de l’enseignant corrobore cet état de fait.
L’absence de contrôle des absences des étudiants nous conduit à des situations où les enseignants se retrouvent dans les amphithéâtres, avec seulement une poignée d’étudiants.
L’absence d’enseignants qui ne dispensent pas les cours pour lesquels ils sont rémunérés, se contenant de distribuer des polycopiés en PDF, ou qui vont roucouler à l’étranger, avec la bénédiction de la direction de l’établissement.
Alors que faire, quelles solutions mettre en place ?
Il n’y a pas mille solutions. Les ministères de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Formation Professionnelle doivent ensemble « prendre le taureau par les cornes », et non planifier, à chaque arrivée d’un ministre, une réforme qui n’aura jamais lieu. Il faut revenir à un système de régulation et de contrôle rigoureux de l’activité des enseignants et des étudiants, tel que nous l’avons connu dans les années 60.
On ne peut attendre de tous les enseignants un sursaut d’orgueil. Vu l’ampleur de la réflexion et de la stratégie nationale qui devra être mise en place, il faudrait initier un débat national intitulé « pour un redressement conséquent de l’enseignement au Maroc », avec des commissions de penseurs et professeurs connus pour leur expérience, afin de sortir avec un programme qui, cette fois-ci ne sera pas rangé dans les tiroirs, mais servira à la stratégie de redressement que mettront en œuvre les deux ministères concernés.
Il est impératif de revenir à une discipline « quasi militaire », dans un monde livré de plus en plus à une anarchie qui plonge inexorablement notre pays dans le sous-développement des savoirs.
Il faudrait aussi, et c’est impératif, revoir le système de nomination des responsables des établissements universitaires et instituts de formation sur la base de critères de méritocratie seulement. Il n’y a pas mille solutions. Pour arracher cette nomination de la main des partis inaptes ou de leurs mandataires, il faudrait que ces responsables soient nommés par dahir Royal, après une sérieuse étude de leur dossier.
En attendant les entreprises peinent à trouver chaussures à leurs pieds. Les coûts de transaction, c’est-à-dire les coûts d’accès au marché, sont importants et grèvent la compétitivité. Quant aux filiales étrangères, cette situation de pénurie des compétences, risque de les dissuader de poursuivre leurs investissements directs au Maroc. Sur ce plan, d’autres pays, asiatiques notamment, offrent des conditions d’implantation autrement plus intéressantes. Pourquoi ? parce ce que l’environnement institutionnel est performant et leur assure les garanties en matière d’emploi qu’ils exigent.
Finalement que veut-on faire de notre système national de formation? Comment peut-on raisonnablement vouloir se positionner dans le concert des nations modernes, lorsqu’on est incapable d’offrir à notre économie les profils de compétence dont elle a cruellement besoin ?
*Professeur, Socio-économiste, IAV Hassan II
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Hélas, Trop vrai et sans généraliser car on trouve toujours des perles rares… C’est surtout vrai sur la surenchère des notes créant un sentiment d’accomplissement suprême chez les diplômés leur laissant peu de place à la nécessité d’apprendre le vrai boulot à faire par les moyens de bord, pas le fictif enseigné de façon hermétique dans des conditions 5 étoiles..
Le niveau qui baisse chez les enseignants du supérieur est flagrant. Ajoutons à cela le laxisme des enseignants du supérieur qui veulent être plutôt  » gentils » avec leurs étudiants. Et puis il faut le dire franchement, il n’y a aucun contrôle puisque le supérieur est au dessus de la loi, alors que le règlement de la fonction publique impose un contrôle régulier à tous les fonctionnaires. Ne parlons pas du privé, c’est la catastrophe.
Votre réflexion sur la problématique est très juste. C’est un problème qui touche l’ensemble des pays du monde. Espérons que les uns et les autres prendront au sérieux ce problème afin de trouver des solutions durables. Merci

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