Les dessous de la fuite des infirmiers à l'étranger ! – Maroc Hebdo
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Chaque année, des centaines de professionnels de la santé décident de migrer à l’étranger, à la recherche de meilleures conditions de travail. Khadija, une jeune infirmière de 27 ans, en fait partie. Elle nous raconte avec beaucoup d’amertume ses tribulations dans les méandres des hôpitaux au Maroc avant de mettre les pieds en Allemagne, où elle exerce actuellement.
Le constat est sans appel : la santé au Maroc n’est pas au beau fixe, les professionnels de santé sont éreintés et leur exode massif ne fait qu’empirer la situation. À notre question de savoir pourquoi cette jeune infirmière native de Boulmane a choisi de franchir le pas de la migration, celle-ci nous répond avec un haussement d’épaule: « 7ta kelb makayhreb men dar l3rss » (aucun chien ne fuit une réception), avant de marquer une pause pour interroger sa mémoire et sonder les prémices d’un ras-le-bol. En d’autres termes, si les conditions de travail étaient favorables au Maroc, aucun infirmier ni personnel médical ne chercherait à fuir le pays.
Travailler 96 heures par semaine
Khadija avait 24 ans lorsqu’ elle s’est fixée comme objectif de rejoindre des amis à elle qui ont migré il y a quelques années en Allemagne . Cette infirmière, diplômée de Institut Privé des Professions de la santé de Casablanca (IPPS), travaille depuis 3 mois à Cologne, ville historique en Allemagne de l’Ouest, après avoir passé quatre ans au CHU de Rabat.
Sa première année à l’hôpital universitaire de la capitale s’articulait autour d’un travail sérieux et acharné en arborant son meilleur sourire, tandis que sa deuxième année était marquée par une combinaison de désillusion et de résistance. Durant les années suivantes, elle était physiquement présente, esquintée et affadie tenant debout grâce à son plan de carrière bien ficelé en Allemagne, dans l’attente de la finalisation de son dossier de visa.
Khadija repense avec amertume à tous ces moments qui alimentaient son désir de quitter l’hôpital. « Au Maroc, non seulement les salaires sont très bas, mais on n’est même pas valorisé pour le travail qu’on réalise », nous explique-t-elle. Les salaires sont tellement bas qu’elle était obligée de travailler à la clinique aussi « en cachette », car c’est illégal. En tout, la semaine de Khadija était partagée entre quatre gardes officielles de 12 heures chacune à l’hôpital et quatre autres du même volume horaire à la clinique. Il se trouve même que des fois elle passait de l’hôpital à la clinique sans prendre de pause. Au total, notre infermière travaillait 48 heures à l’hôpital et 48 autres heures à la clinique, soit 96 heures sur 168 heures par semaine. « C’est dire à quel point les salaires sont dérisoires au Maroc », se désole Khadija qui travaillait malgré elle doublement au dépens de sa santé et de sa vie sociale pour pouvoir joindre les deux bouts et finir le mois avec une somme décente.
Khadija souligne par ailleurs que le travail d’infirmier ne se limite pas à réaliser ses tâches contractuelles. « On se retrouve souvent à faire ce que le réanimateur, médecin ou autre staff médical devrait faire, et à nos risques et périls car si on fait une fausse manoeuvre on est systématiquement tenu responsable, même si on nous a obligé à faire ce qu’on n’a pas été formés à exercer ». Au stress journalier absorbé, s’ajoute une lourde charge mentale liée à la responsabilité envers les patients. Khadija nous parle également du harcèlement moral que subissent les infirmiers. « C’est la loi de la jungle à l’hôpital, si tu ne t’imposes pas personne ne le fera pour toi ». En effet, les supérieurs hiérarchiques ont un grand moyen de pression sur eux. Le quotidien des infirmiers est pétri d’exemples dans ce sens.
Travail éreintant, salaire insuffisant
La participation aux grèves est officieusement punie de l’absence de primes ou d’arrangements (après-midi libres, congés…). Pareil pour la poursuite des études. En effet, ceux ou celles qui désirent poursuivre leurs études en parallèle du travail se retrouvent face à un comportement perverti de la hiérarchie qui « veut gratuitement mettre aux infirmiers des bâtons dans les roues , pour la simple raison qu’ils prétendent à une ascension sociale en faisant le choix de se développer en dehors du cercle professionnel », explique-t-elle avant de poursuivre que « la grande majorité des infirmiers s’adonne à un travail ou des études en parallèle, mais on le fait en cachette, pour éviter les problèmes ». Entre un travail éreintant, un salaire insuffisant et un manque d’encouragement voire même une « violence morale exercée par la hiérarchie », Khadija considère que la discrimination entre médecins et infirmiers au niveau des primes de risques « est la cerise sur le gâteau ». Alors que les médecins ont reçu une prime de 4 000 dirhams, l’année dernière, celle des infirmiers, sages-femmes et autres staff paramédical ne dépasse pas les 70 dirhams. « Une honte », tonnet- elle.
Khadija n’a pas courbé l’échine face à ces conditions de travail décourageantes. Elle avait besoin d’argent pour son loyer, ses dépenses mais aussi et surtout pour ses cours d’allemand. Son objectif, atteindre le niveau B1 (qui atteste qu’on est capable de mener une vraie conversation en Allemand), en un temps record pour pouvoir prétendre à un contrat dans un hôpital allemand « où elle sera enfin considérée à sa juste valeur ». Pari réussi: en deux ans et demi, elle a obtenu son diplôme de langue, a passé ses entretiens dans différentes institutions de santé en Allemagne puis a obtenu un contrat à durée indéterminée (CDI) et fait sa demande de visa auprès du consulat allemand. Khadija boucle actuellement son troisième mois à Cologne, laissant derrière elle conditions de travail difficiles.
Son salaire marocain (aux alentours de 6 000 dirhams) à trois zéros a non seulement été multiplié par cinq, mais elle peut prétendre maintenant à des primes généreuses, nous raconte-telle enthousiaste. « Le cadre de vie à l’intérieur de l’hôpital comme à l’extérieur est tellement agréable, et pour une fois j’ai l’impression qu’on reconnait tous les efforts que je fournis ». Une fin heureuse pour Khadija, qui ne l’empêche pas de penser à ses anciens collègues pour qui elle éprouve beaucoup de compassion : « May7ss blmzwed ghir lli mdroub bih » (seul le poignardé peut sentir la douleur du couteau).
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