Les cadres marocains et la pauvreté culturelle – Hespress Français
Plusieurs études réalisées au Maroc ont révélé que la lecture n’est pas une priorité chez nos nationaux. Si l’on se réfère à l’éditrice Layla Chaouni, directrice des éditions Le Fennec à Casablanca, l’existence du livre semble bien en crise.
Dans un entretien avec le mensuel Zamane, publié dans le numéro de juillet 2023, Layla Chaouni a déclaré qu’en 1987 elle faisait en moyenne un tirage de 2.000 exemplaires pour la parution d’un livre. Une quarantaine d’années plus tard (malgré l’augmentation de la population et des établissements d’enseignement supérieur) cette moyenne a chuté à 500 exemplaires seulement.
Menée par le Haut Commissariat au Plan, une précédente enquête sur l’emploi du temps des Marocains avait bien montré que nos concitoyens consacrent 44% de leur journée au temps physiologique (sommeil, repas et soins personnels), 2 heures devant la télé, autant au café mais seulement 2 minutes de lecture par jour.
Pourquoi cette indifférence pour les livres ? Pourquoi une tranche importante de nos cadres ne se cultive-t-il pas en lisant ? Aurions-nous oublié les paroles d’Aïcha Ech-Chenna (in Le Monde du 17 octobre 1997) : « La plume ça les pousse à se demander comment améliorer les choses », c’est comme la flamme qui éclaire : ça aide les gens à voir comment ils vivent.
C’est sans doute là la différence entre une société et une autre, entre un système d’enseignement et un autre, entre une société en voie de développement et une autre à la pointe du développement. Quiconque ignore le bénéfice culturel qu’apporte la lecture ignorera toujours l’épanouissement personnel qui naît de la fréquentation des bons auteurs.
Qui oserait prétendre être cultivé en proclamant qu’il n’a jamais ouvert un livre ? La situation de la culture au Maroc n’est pas facile. L’écrivain marocain en pâtit. Il joue un rôle de premier plan dans la diffusion du savoir mais il évolue sans soutien et sans reconnaissance.
Le romancier marocain Fouad Laroui avait raison de dire que « L’écrivain marocain est un héros solitaire qui fait tout et tout seul : il écrit, il imprime, il diffuse et il fait sa communication ». Éventuellement, les mêmes difficultés touchent des libraires. Ces dernières années d’ailleurs, dans les deux grandes villes des finances et de la culture : Casablanca et Rabat, plusieurs librairies ont fermé alors que d’autres peinent à retrouver leur équilibre financier.
Il faut le dire clairement : un cadre qui ne lit pas « pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui » comme le conseillait Michel de Montaigne dans ses Essais, n’a pas la mentalité d’un cadre. Il a peut-être le diplôme, mais il n’a pas la culture qui enrichit son esprit et sa vie. S’il ne se documente pas en achetant des livres et des revues, comment peut-il évoluer et être utile à sa société ? Comment peut-il communiquer efficacement et positivement avec ses semblables ? Surtout qu’il bénéficie d’une indemnité mensuelle d’encadrement ou de recherche qui fait partie de son salaire.
Le problème n’est donc pas financier.
Nous connaissons tous des personnes qui passent leur temps dans les cafés à parler de tout et de rien, du climat, du football, de la politique internationale, et qui critiquent tout ce qui bouge sans jamais remettre en question leur attitude de « moulin à paroles ». Ils feraient mieux de parler moins et de lire plus. Ce serait le meilleur moyen de nourrir leur esprit et d’avoir une vision plus saine et plus nuancée du monde contemporain.
Dans ma propre expérience, j’ai rencontré, à El Jadida où je réside, des cadres qui n’ont jamais lu un seul livre parmi les 24 que j’ai publiés dans ma série Les cahiers d’El Jadida. Ils ignorent leur existence alors que cette série existe depuis une trentaine d’années et qu’elle a été présentée au public, à la télévision, dans la presse écrite, chez les libraires et sur les réseaux sociaux.
*Auteur-éditeur des Cahiers d’El Jadida
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