« J'ai arrêté mon master de droit pour devenir rappeur et acteur » – Les Echos START
INTERVIEW// Younès Boucif, 27 ans, a lâché ses études dans l'optique de vivre de ses passions. Pari réussi. Révélé au grand public dans la série « Drôle » diffusée sur Netflix, il sort le 7 octobre son premier album de rap intitulé « Identité remarquable ».
Par Chloé Marriault
Younès Boucif : Un pote du collège, le rappeur Rilès, perce. Ça me pousse, je me dis : « Je l'ai vu bosser, c'est possible ! » Moi, je trouve mes études en droit intéressantes mais je n'ai pas de flamme qui m'anime. Je n'ai pas envie d'avoir des regrets à 35 ans en me disant : « Tu voulais être artiste, tu n'as jamais osé essayer et maintenant t'es juriste dans telle boîte dont tu te fous. » Je prends mon courage à deux mains et j'annonce à mes parents que j'arrête le droit pour devenir rappeur et acteur. J'ai la dalle, je veux me bagarrer pour y arriver. Si je me le permets, c'est parce que je suis indépendant financièrement : je suis surveillant dans un collège, ce qui me permet de toucher 600 euros par mois. De quoi payer mon loyer. Pour le reste… merci les APL (rires).
Je me disais que même si ça ne marchait pas à 25 ans, je continuerais (rires). Mais ce deal les rassurait. Mes parents, arrivés d' Algérie en France à la vingtaine et devenus enseignants à l'université pour mon père et en BTS pour ma mère, me soutenaient dans mes projets artistiques. Mais pour eux, les études passaient avant. C'était ça le plus sûr. Parce que je suis proche d'eux, que leur avis m'importe, j'ai donc fait des études.
Après mon bac S à Rouen, j'ai suivi une voie classique : une prépa Sciences Po, puis une licence de droit à la fac de Rouen – à défaut de réussir à intégrer Sciences Po. Mais en réalité, je sentais que mon coeur m'appelait ailleurs. Quand je quitte le domicile familial à Mont-Saint-Aignan, en banlieue de Rouen, pour mon master à Paris, c'est plus facile de sauter le pas, loin de mes parents.
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La première année, pas grand-chose. J'ai pris des cours de théâtre au conservatoire du 8e arrondissement de Paris, en parallèle d'un master de création qui ne me prenait pas beaucoup de temps mais qui m'aidait dans la création littéraire.
En fait, j'ai toujours fait du théâtre. A l'école primaire, un prof de théâtre nous avait fait jouer « Le Petit Poucet ». Manifestement convaincu par ma prestation, il avait dit à mes parents qu'il fallait m'inscrire au théâtre, ce qu'ils ont fait. J'ai continué au collège, lycée, et pendant ma licence. Je me souviens qu'à chaque cours, c'était la même chose : peu importe dans quel état j'arrivais, je ressortais toujours de bonne humeur.
J'ai d'abord fait les premières parties de concerts de mon pote Rilès. Puis, je suis passé dans « Rentre dans le Cercle ». Dans cette émission du rappeur Fianso, plusieurs rappeurs sont invités pour performer. En général, il y a un gros nom. De quoi offrir de la visibilité aux plus petits qui ont fait le déplacement. Après ça, j'ai sorti une série de freestyles tournés en public dans Paris, dans le métro notamment, avec des textes sur lesquels je m'étais vraiment appliqué pour qu'il n'y ait pas une punchline en dessous des autres. Ça a contribué à me faire connaître auprès des labels.
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Au final, il m'a fallu un peu plus d'un an, après avoir arrêté mes études, pour signer avec la maison de disques Wagram… et lâcher mon job de surveillant.
Quand je participe à « Rentre dans le Cercle », un agent me repère et me fait passer une dizaine de castings en l'espace d'un an. Je les rate tous, sauf un, pour un petit rôle dans « Les Magnétiques » de Vincent Cardona. Ces échecs ne m'inquiètent pas franchement. Moi, je suis concentré sur la musique, je ne joue pas ma vie en casting. Si ça ne marche pas, pas grave, j'ai un album à terminer.
Et puis, mon agent finit par me faire passer le casting de « Drôle » (série diffusée sur Netflix, réalisée par Fanny Herrero, également créatrice de la série « Dix pour Cent », NDLR), pour jouer Nézir, jeune humoriste fauché qui est livreur en attendant de se faire un nom. Je lis le scénario et je kiffe. Je le bosse bien et ça marche… après plus de cinq auditions. Mortel. C'est la première fois que j'obtiens un aussi gros rôle, et en plus sur une plateforme comme Netflix, avec une si grosse audience. Et financièrement, ça me met bien.
J'ai pu passer davantage de castings, mais je n'ai pas croulé sous les sollicitations ni eu de propositions de grands rôles. J'ai décroché deux-trois rôles. J'ai notamment tourné cet été au Maroc un petit rôle en anglais dans un film de Susannah Grant. C'était intéressant parce que le casting était international (avec Diana Silvers, Laura Dern, Liam Hemsworth, NDLR).
Ce qui est marrant aussi, c'est que les propositions qu'on me fait ont changé. Avant, dans la dizaine de rôles pour lesquels j'ai été auditionné, 80 % étaient des dealers, des mecs qui sortaient de prison… Dans « Drôle », mon personnage, Nézir, est gentil, touchant, attachant. Là on se dit : « Ah tiens, il peut faire autre chose ! » Après ça, on m'a proposé d'interpréter des mecs qui s'appellent Jonathan ou François. C'était la première fois que ça m'arrivait et ça m'a un peu interloqué. Ça voulait dire qu'on pouvait me proposer des rôles intéressants et intelligents… mais pas en incarnant un Arabe.
Je suis fier du résultat. Je ne suis pas hyper confiant quant à la réception de cet album par le public, je ne sais pas à quel point il parlera aux gens, mais je sais que je peux le délivrer la tête haute parce que ces quinze morceaux, je voulais les faire depuis très longtemps. J'y parle beaucoup d'identité. Quand on est fils d'immigrés algériens et que l'on n'a pas grandi dans un quartier populaire, on ne coche pas forcément les cases des représentations habituelles. Ça m'a questionné toute ma vie.
Ce qui me rend fier aussi, c'est d'avoir pu faire un feat avec le rappeur Médine. Je l'avais rencontré en 2012. Il faisait rapper des jeunes après ses concerts. J'avais tenté un truc a cappella et franchement le résultat était moyen (rires). Dix ans après, on est sur le même album !
A moyen ou long terme, ce serait de faire mon « Fleabag », cette série britannique que je kiffe où la nana a écrit, réalisé et joué dedans. Je trouve ça hyper drôle, intelligent, et j'ai envie de faire ma version à moi. Ce projet est en lien avec le roman que je suis en train d'écrire… J'aimerais moi aussi réaliser, écrire et jouer.
Côté musique, je n'ai pas encore trouvé la bonne recette pour que les gens adhèrent complètement à mes sons. J'ai envie de faire un morceau que tout le monde connaît. Et après, de faire des Zénith… Peut-être que ce sera le cas avec mon nouvel album ?
Propos recueillis par Chloé Marriault
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