Au Maroc, les féministes se battent pour franchir une nouvelle étape – Le Temps
GRÈVE DU 14 JUIN. La refonte du droit de la famille reste au cœur des revendications des militantes féministes marocaines, dont la mobilisation est de plus en plus intense. Elles exigent également une révision du Code pénal, pour une société égalitaire qui protège mieux les femmes des violences
Femmes issues du monde rural, ou pionnières dans le monde universitaire, politique et économique: où en est la marche vers l'égalité? A l’occasion d’une nouvelle grève féministe ce 14 juin, «Le Temps» vous propose une série d’articles thématiques.
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«Les astres s’alignent pour le féminisme. C’est maintenant qu’il faut faire entendre nos voix, on n’aura pas une opportunité pareille avant quelques décennies», confie Ghizlane Mamouni, avocate et présidente de l’association Kif Mama Kif Baba. La militante féministe a les yeux rivés vers l’annuel discours du trône, qui aura lieu le 30 juillet prochain. Dans celui de l’année dernière, le roi Mohammed VI avait appelé à donner à la femme la place qui lui revient dans la société: «Quand les femmes accèdent pleinement à leurs droits, elles ne portent aucun préjudice aux hommes, pas plus qu’elles ne se font tort». Institutionnellement, pourtant, rien de concret n’a eu lieu depuis.
Les féministes, de leur côté, font feu de tout bois. Rassemblements, mémorandums, conférences, campagnes sur les réseaux sociaux, actions dans la rue… Associations et collectifs sont sur tous les fronts pour sensibiliser l’opinion publique. Un nouveau rassemblement est prévu le 25 juin, sur la place des Nations unies, à Casablanca. Objectif: mettre la pression sur les parlementaires marocains afin d’obtenir une refonte du Code pénal et de la Moudawana (le Code de la famille marocain). Le premier n’a pas été réformé depuis 1962. Quant à la Moudawana, sa précédente réforme date de 2004, promulguée par Mohammed VI lui-même. Ce tournant juridique et social avait notamment permis d’encadrer la polygamie et de donner aux femmes le droit de demander le divorce. Dans un premier temps, les féministes marocaines s’en étaient accommodées parce que ces amendements devaient être les premiers d’une série plus audacieuse. Ce ne fut pas le cas.
Aujourd’hui, les féministes revendiquent une refonte totale des textes pour parvenir à une égalité parfaite en droit entre les hommes et les femmes. Elles militent pour l’interdiction totale du mariage des petites filles, l’égalité dans l’héritage, l’interdiction de la polygamie, la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage, mais aussi la légalisation de l’avortement. Leur combat vise également à mettre fin aux inégalités parentales inscrites dans le droit.
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Actuellement, la garde de l’enfant revient de plein droit à la mère et la tutelle de plein droit au père. Il détient donc seul la capacité de représenter l’enfant dans les actes juridiques de la vie quotidienne, comme l’inscrire à l’école, accepter ou refuser des soins, gérer un compte épargne, l’emmener en voyage. La Moudawana prévoit également la perte immédiate de la garde de l’enfant en cas de remariage de la mère, au contraire du père. «La société marocaine a changé depuis la dernière Moudawana. Elle a évolué socialement, culturellement et économiquement de sorte que de nouveaux besoins apparaissent. Les réponses à ces besoins sont de nouveaux modes de rapports sociaux et de nouveaux modèles de famille, comme celui des mères célibataires par exemple» témoigne Karima Nadir, militante féministe marocaine.
Depuis quelques années, une nouvelle forme de militantisme a émergé sur les réseaux sociaux, comme le mouvement «7achak», contre la précarité menstruelle qui réunit plus de 60 000 abonnés, ou encore la plus récente page «Féminicides. Maroc» qui recense les meurtres de femmes fondés sur le sexe dans le royaume. Le Collectif pour une législation égalitaire (CLÉ) a également lancé une campagne sur les réseaux sociaux faisant appel à des actrices célèbres pour porter les témoignages de femmes victimes de violences.
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Ces pages participent activement à mettre en lumière des «affaires» judiciaires qui démontrent les ravages que peuvent faire les lois actuelles sur la vie de survivantes de violences sexuelles. En septembre 2022, Meriem, 14 ans, est morte des suites d’un avortement clandestin, après avoir été violée, près de Midelt. Autre cas: celui de Sanaa, 12 ans, violée pendant plusieurs mois par trois hommes à Tiflet, qui vient de donner naissance à un petit garçon. En première instance, les violeurs avaient écopé de 18 à 24 mois de prison après avoir bénéficié des circonstances atténuantes, le 20 mars.
L’indignation suscitée par le verdict, et la mobilisation qui a suivi, sur les réseaux sociaux, puis dans la rue, ont permis de faire monter la pression sur les magistrats. Résultat: les peines ont été alourdies en appel un mois plus tard: 10 ans de prison et 20 ans pour le géniteur. Si ces affaires ont suscité l’émoi, elles sont loin d’être les seules. L’enjeu est maintenant de convertir l’engagement sur les réseaux sociaux en mobilisation physique lors des rassemblements et des manifestations.
Ces mobilisations témoignent de l’importance que les femmes accordent à la mise en place d’une nouvelle Moudawana plus égalitaire. Reste à voir si cette nouvelle réforme sera à la hauteur de leurs attentes et si elle permettra réellement d’améliorer la situation des femmes au Maroc. Si la réforme de la Moudawana est attendue par les militantes, celles-ci entendent être associées à la future rédaction du Code de la famille, craignant que des concessions soient faites aux conservateurs. Elles redoutent plus que tout un texte final vidé de sa substance, ne comportant que des demi-mesures.
Certaines militantes plus radicales, à l’image de Betty Lachgar du collectif MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), n’en attendent rien: «Lors de son discours, le roi, a été très clair, il faut réformer la Moudawana tout en respectant les principes de la charia. Tant qu’il n’y aura pas de laïcité, de séparation entre religion et politique, on tournera en rond sur les questions des droits des femmes».
Ghizlane Mamouni, elle, veut croire aux chances de succès de la mobilisation et faire monter la pression dans l’attente du discours royal du 30 juillet. «Ce qu’il nous reste, c’est la rue, pour faire porter nos voix plus haut et plus fort. Nous aimerions organiser un printemps des rassemblements mensuels, à compter du 25 juin, prévient l’avocate. On ne lâchera pas l’affaire jusqu’à ce que la loi change.»
