interview doyen de médecine de l'université de Caen sur la L.AS – Studyrama
Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de médecine de l’université de Caen considère qu’il faut en finir avec les quotas dans les études de santé et milite pour un nouveau modèle de régulation. Il a développé ses arguments dans une longue tribune co-écrite avec Stéphane Le bouler, président de Lisa. C’est ce qui a donné envie à Studyrama d’échanger avec lui sur les études de santé.
Propos recueillis par Julie Mleczko
Pour rappel, les études de santé se font désormais pas le biais de la PASS (Parcours d’Accès Spécifique Santé et de la L.AS (Licence Accès Santé).
“En fait le PASS c’est la même chose qu’une PACES ; il est juste allégé pour laisser la possibilité de suivre une mineure d’une autre discipline, et on ne peut pas redoubler. Cela signifie qu’un étudiant en PASS est obligé de se réorienter s’il échoue. Même s’il est admis, il doit aller dans une 2e année de licence d’une spécialité de son choix, mais encore faut-il qu’il y ait de la place et une répartition cohérente en 2e année de licence. Or les étudiants qui vont en PASS choisissent parfois des mineures qui ne les intéressent pas, et se retrouvent donc au pied du mur car ils ne veulent pas s’y réorienter.
Cela crée de grosses disparités car il existe énormément de places en PASS et peu de places en L.AS. Or, on devrait arriver à une répartition à 50/50 sauf que cela est impossible techniquement s’il y a 70% des étudiants qui sont en PASS et 30% en LAS. De plus, ce sont les meilleurs étudiants qui vont en PASS, ce qui pénalise les L.AS. D’emblée le modèle ne me plaisait pas.
Être en L.AS, cela oblige les étudiants à penser à une 2e option, où ils sont vraiment prêts à continuer s’ils ne parvenaient pas à rejoindre les études de santé. De plus, ils ont tous le même bagage « santé » quand ils entrent en 2e année. Le bagage scientifique peut-être jugé insuffisant par certains, malgré 100 heures en santé (une licence c’est 500h donc cela représente 20% des cours), mais les bons étudiants ont des capacités d’adaptation suffisantes pour rattraper les connaissances éventuellement manquantes.
À Caen, nous avons vraiment inclus la mineure dans la Licence, ce n’est pas en plus, c’est une Unité d’Enseignement de la Licence qui est la même pour toutes les licences. Sauf que pour ceux qui sont en licences scientifiques, on leur dispense un peu moins de cours de sciences et plus de cours de sciences humaines, et vice-versa.
Les étudiants sont obligés de penser à un plan B et s’ils sont admis à poursuivre mais pas en santé, ils continuent dans leur Licence, en 2e année, et ils pourront repostuler l’année suivante sans efforts supplémentaires car on ne leur demande pas de valider d’ECTS supplémentaires en santé s’ils ont déjà obtenu les 12 ECTS santé en L.AS1, c’est acquis.
De plus, nous avons ouvert la mineure Santé à des étudiants qui sont en Licence normale, qui ne sont pas passés par la L.AS 1 mais par une Licence 1 classique et qui auraient changé d’avis depuis. Dans ce cas, leurs cours seront en supplément du reste de leur emploi du temps, mais c’est plus facilement gérable pour des étudiants qui ont déjà un peu d’expérience dans l’enseignement supérieur. C’est un système très souple pour lequel nous avons opté.”
“Non car pour moi les étudiants qui étaient en PACES pensaient qu’ils étaient en 1re année de médecine, ce qui n’a jamais été le cas. La 1re année d’études de médecine n’a jamais existé. On ne gardait qu’un tiers des étudiants, c’était donc un leurre !
Du coup je n’ai plus de 1re année de santé : tous les étudiants de LAS sont répartis dans toutes les composantes et même la Licence Sciences pour la Santé (biologie) est rattachée à l’UFR de Sciences, pas en UFR de Santé. Donc schématiquement, nous ne proposons qu’un cursus à partir de la 2e année, et celle-ci commence dans notre UFR. C’est nous qui organisons les enseignements de la mineure, les étudiants y sont regroupés le vendredi (1000 étudiants), sinon ils sont dans leur composante respectives de L.AS. Là on peut parler de diversification. Je pense qu’on est bien dans l’esprit de ce qui est attendu par la réforme.
Évidemment cela n’est pas simple car toutes les composantes doivent faire de la place dans leurs capacités d’accueil et il faut qu’ils acceptent l’idée qu’on va capter un certain nombre de bons étudiants ! Cela, pour moi, a tiré le niveau des Licences vers le haut, donc c’est une bonne chose. Finalement certains étudiants changent d’avis et restent aussi dans leur Licence, n’ayant plus envie d’aller en santé. Ainsi nous limitons l’échec et les besoins de réorientation.”
“Supprimer la PACES était une bonne idée car cela faisait longtemps que l’on disait que trop d’étudiants se retrouvaient en échec sans possibilité de réorientation. Certains doublaient, d’autres triplaient (avec dérogation), on les maintenait dans un espoir et donc en fait ils étaient cassés s’ils n’obtenaient pas ce qu’ils voulaient. Le seul but était de passer en études de santé. Donc oui, sa suppression est une bonne chose. Les mettre dans un système universitaire où ils avancent, c’était la logique. Cela implique aussi de revoir notre façon d’enseigner dans les premiers cycles de santé.”
“On a raisonné en se demandant ce qui était primordial pour suivre un 1re cycle d’études médicales ou pharmaceutiques, puis le penser en fonction du 2e cycle évidemment. Le système de formation médical a été depuis longtemps fondé sur la biologie et les sciences. C’est formidable d’avoir des gens brillants dans ces matières, mais tous les médecins ne seront pas des chercheurs. La plupart seront des praticiens qui vont s’occuper de patients et ils ont besoin de connaissances en physiologie, biologie d’anatomie minimales pour pouvoir exercer leur métier et pour pouvoir comprendre. Pour approfondir ensuite ils ont les bases pour aller lire et se renseigner seuls. Mais malgré le fait que l’on diminue les éléments fondamentaux, ce sont des études longues, avec beaucoup de choses à apprendre, et une nécessité d’acquérir un raisonnement clinique, une démarche scientifique. Ce sont plein de compétences, au-delà des connaissances de base ; ce sont surtout beaucoup de compétences transversales telles que la capacité de synthèse, capacité de s’informer, de se questionner, savoir faire des recherches…
“Il faut un minimum de sciences, garder la biologie et la physique-chimie par exemple. La spécialité Sciences de la Vie et de la Terre est plus simple à rattraper que la physique-chimie. Les maths ne sont pas indispensables selon moi, même si nous sommes bien sûr ravis d’accueillir des étudiants matheux ; on en a aussi besoin dans les métiers de santé. Dans tous les cas, il ne faut pas être hermétique aux sciences. On peut avoir un raisonnement scientifique et avoir une appétence pour les sciences et les comprendre sans être ultra pointu. Les médecins peuvent être de grands chercheurs, mais avant tout ils devront être, en majorité, de bons médecins avec leurs patients.
Il y a beaucoup de stress chez les étudiants autour des filières santé. Pour cela l’autre avantage du système L.AS c’est que finalement les étudiants ont 3 chances de postuler :
Les études supérieures de santé sont difficiles. Si les étudiants sont trop justes, mieux vaut prendre une année de plus pour mieux repartir. Ce n’est pas négatif de « prendre une année » pour mieux apprendre à travailler et être prêt, avoir la maturité nécessaire. De toutes façons, ce sont des études longues, une année ce n’est rien par rapport à l’ensemble des études : 10 ans pour être médecin, 12 ans minimum pour la chirurgie ! Le socle doit être solide. Il faut aussi arrêter avec cette idée reçue du « la 1re année est la plus dure, ensuite c’est une long fleuve tranquille » car c’est faux !
Pour réussir il faut être régulier, travailler tout le temps, être constant. Un étudiant qui acquière des compétences solides verra son niveau de stress diminuer.”
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