Ces pratiques qui tuent la pêche en Afrique – DW
Au Maroc, Etats et professionnels échangent sur des pratiques de pêche plus respectueuses de la biodiversité marine.
Comment concilier les pratiques de pêche et la préservation de la biodiversité ? La question était au menu d’un symposium de la Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les Etats africains riverains de l’océan Atlantique, la Comhafat, qui a eu lieu à Rabat au Maroc ces 9 et 10 mai 2023. Des discussions importantes, car, dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, ce n’est pas tous les jours que les pêcheurs reviennent avec du poisson. En cause : la surpêche due aux armateurs étrangers mais aussi les pratiques néfastes de certains pêcheurs artisanaux.
Ecoutez aussi → Les podcasts du magazine environnement de la DW
En témoigne en ce mois de mai à Rabat, en pleine discussion lors de ce symposium, l’un des participant du Ghana. Il montre sur son téléphone portable des images de paniers remplis de beaux poissons frais. “Mais ces images de belles prises sont désormais rares“, déplore-t-il. Les pêcheurs locaux peinent en effet à trouver du poisson. Les mauvaises pratiques et la surpêche ont dévasté les fonds marins.
Les responsabilités sont partagées entre bateaux-usines de pêche, souvent opérés par des compagnies étrangères qui ratissent les fonds de mer, et les pratiques dévastatrices pour l’écosystème-marin des pêcheurs locaux qui tentent de compenser les pertes. “Moi j’avais toujours la technique de la lumière”, confie Bertin, la cinquantaine, qui pratique la pèche depuis plus de 30 ans le long de la côte béninoise. “Environ dix minutes après avoir mis des ampoules aquatiques sous l’eau, elles attirent les poissons et je les encercle avec le filet”.
La pêche pour lui, tout comme pour les autres pécheurs de la région, était radieuse jusqu’à il y a quelques années, mais tout a changé. Se sentant dépourvu face aux grands bateaux-usines, les pêcheurs artisanaux qui utilisent des pirogues pratiquent des techniques telles que celles de l’illumination des eaux pendant la nuit pour attirer les poissons, l’empoisonnement avec des produits chimiques ou encore la mise à mort des poissons avec de la dynamite. “Au Ghana, les gens utilisent des produits chimiques comme le savon en poudre appelé Omo ou de gros moyens comme la dynamite. Avec ces techniques, il ne reste plus qu’à les ramasser”, poursuit Bertin.
S’il se plaint que c’est à cause du manque de manque de poissons qu’il pratique ces techniques prohibées, aujourd’hui, il fait lui aussi partie du problème. “L’utilisation de la dynamite et des produits chimiques détruisent l’environnement marin ou aquatique et aggravent la situation”, explique Rodrigue Pelebe chercheur au Centre d’excellence pour la résilience côtière, à l’université de Cape Coast au Ghana. “Elles contribuent à la destruction des coraux, impactent sur l’équilibre écologique de la vie des récifs coralliens et chamboulent l’ensemble de la chaîne alimentaire. Se faisant, ils vont encore développer d’autres pratiques nuisibles pour capturer le peu qui va rester, et c’est le cercle vicieux.”
L’écotoxicologue aquatique Rodrigue Pelebe estime que le plus grand défi aujourd’hui est de faire comprendre aux pêcheurs artisanaux le danger que représentent ces mauvaises pratiques. Il détailles les études encore en cours pour déterminer les dégâts et l’ampleur de ces méthodes de pêches prohibées. Au large du Ghana, à cause de la surpêche et des techniques illégales, le nombre de poissons capturés a diminué quasiment de moitié en quinze ans. Le pays compte environ 140.000 pêcheurs. Or, selon les Nations Unies, 2,7 millions de personnes, soit 10% de la population totale du Ghana, dépendent de ce secteur crucial. Le poisson génère en outre environ 60% des protéines consommées par les Ghanéens.
Lors du symposium à Rabat de la Comhafat (Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les Etats africains riverains de l’océan Atlantique), les 22 pays membres se sont accordés à reconnaître qu’il en faudra plus pour remédier à la situation. “La Comhafat se bat pour aider les Etats à mieux surveiller, mais aussi lutter contre les techniques néfastes des pêcheurs locaux et la pêche illégale par des activités de renforcement des capacités des agents et des acteurs”, a déclaré Abdennaji Laamrich, chef de la coopération et des systèmes d’information de la Comhafat.
Si selon Amadou Tall, directeur de programme à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, les pratiques néfastes des pêcheurs locaux sont pour l’instant localisées, il reconnaît tout de même qu’il faut agir pour éviter qu’elles s’étendent. Amadou Tall pointe du doigt la pêche illicite non déclarée et non réglementée (pêche INN) qui représente jusqu’à 26 millions de tonnes de poissons capturés chaque année. Elle est pratiquée en haute mer et dans d’autres zones relevant des juridictions nationales, affectant en particulier les populations rurales côtières des zones vulnérables.
La pêche INN et la mauvaise gouvernance des pêcheries sont deux maux qui coûtent chaque année 2,3 milliards de dollars à l’Afrique de l’Ouest.