Abderrahim Bourkia : 'Déplacer le stade ne réglerait pas le … – Maroc Hebdo
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Spécialisé en sociologie du sport, auteur en 2018 du livreréférence “Des ultras dans la ville”, Abderrahim Bourkia considère que le drame de la mort de la jeune de Nora est tout autant le résultat de manquements évidents que la conséquence d’un véritable problème de société qui fait qu’un stade est aujourd’hui systématiquement associé au risque qu’il peut présenter.
La mort de la jeune Nora fait beaucoup jaser. Selon vous, faut-il la traiter comme un fait indépendant dû à des dysfonctionnements indéniables à l’entrée du Stade Mohammed-V ce jour-là ou n’est-ce plutôt que la manifestation d’un problème de fond à caractère systémique?
Le décès tragique de la jeune Nora est une nouvelle très triste. Bien que la mort ne fasse pas de distinction, nous sommes tous touchés par ce qui est arrivé. Nora était la fille, la soeur, la cousine, la camarade, la collègue et l’amie d’autres citoyens et citoyennes. Je m’excuse pour ce préambule, mais c’est ma première réaction lorsque j’ai appris la perte de Nora. Pour répondre à votre question, il est évident qu’il y a eu des manquements de la part de certains intervenants chargés de l’organisation et de la gestion des flux à l’entrée du Stade Mohammed V.
Mais, qu’on le veuille ou non, il y a aussi une responsabilité collective. Lorsque vous voyez un élément des forces de l’ordre ou un organisateur qui perd son sangfroid et n’arrive pas à maîtriser ses émotions, vous savez parfaitement qu’il est à bout de nerfs et que sa capacité de discernement est altérée. Vous savez également que la situation le dépasse. Il faut dire que leur travail est difficile, en particulier en ce qui concerne les interactions avec le public, surtout celui qui pose problème. Par exemple, il y a des spectateurs ou des supporters qui possèdent des billets mais qui ne peuvent pas accéder au stade, qui ne trouvent donc pas de place et qui encombrent les marches et les sorties de secours. Certains éléments des forces de l’ordre considèrent les journées de match comme une corvée. Ils peuvent même en arriver à voir le public comme un ennemi.
Quels sont les moyens concrets qu’on peut aujourd’hui mettre en oeuvre pour éviter que des drames similaires ne se reproduisent?
À mon avis, il serait préférable de confier la gestion de la sûreté et de la sécurité à une commission ou à une entité de professionnels compétents, intègres et reconnus par leurs pairs. Il est important de se donner les moyens de réduire la marge d’erreur et les risques. Le déploiement sécuritaire devrait être rationnel et bien réfléchi, avec une information générale sur les entrées ouvertes au public et un nombre suffisant d’éléments de la force publique. En tant que chercheur qui s’appuie sur son observation participante régulière des stades, je ne dispose pas des connaissances techniques et opérationnelles nécessaires pour en dire davantage.
Il convient également de revoir le système de billetterie, qui est un autre problème à prendre au sérieux. Cela nous amène à nous poser des questions sur les places numérotées et à envisager une billetterie nominative. Des mesures astucieuses peuvent être mises en place, mais elles doivent être accompagnées d’un suivi et d’un contrôle stricts. La mentalité du laisser-faire et du laisser-aller ne doit plus être tolérée. Il est temps de dire haut et fort «No Pasaran» aux passe-droits, au favoritisme, au clientélisme, à la fraude et à la corruption. Il est également nécessaire de parler de l’égoïsme et du manque d’empathie envers les autres. Malheureusement, cela a déjà coûté des vies dans le passé, y compris celle de Nora, et nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve si nous ne prenons pas ce problème très au sérieux.
Beaucoup lient les problèmes d’ordre sécuritaire que connaît régulièrement le Stade Mohammed-V au fait qu’il se trouve en plein périmètre urbain. Partagez-vous cette vue?
Je ne suis pas d’accord avec cet avis. Dans d’autres endroits, il y a de grands stades en plein centre-ville et cela ne pose aucun problème. Je pense que nous devrions plutôt nous poser la question, ou les questions, de savoir pourquoi le stade est perçu comme un risque potentiel. Est-ce à cause du comportement du public lors des événements sportifs? Des clubs qui y jouent? Ou de ceux qui en ont la charge? À mon avis, déplacer le stade ne réglerait pas le problème de la violence. Cela ne ferait que déplacer le problème ailleurs, tandis que les acteurs et les intervenants seraient les mêmes. Ils reproduiraient les mêmes schémas, les mêmes pratiques, la même gestion, la même stratégie -s’il y en a une, étant donné que je doute qu’elle existe, et si elle existe, elle est inefficace. La veille du drame, la rencontre entre le Wydad de Casablanca et l’équipe tanzanienne de Simba s’est bien déroulée. Comment se fait-il que l’organisation ait changé du tout au tout pour aboutir à un tel débordement?
On tend parfois à essentialiser la violence dans les stades, comme quoi elle serait le fait de groupes de supporters précis plutôt que d’autres, ceux de certains clubs particuliers. A partir des différentes études que vous avez menées, quels sont les véritables paramètres qui entrent en jeu dans cette violence?
D’après mes analyses, il n’y a pas de profil type. Cependant, les supporters les plus fervents sont souvent recrutés parmi une partie de la jeunesse qui adopte de nouvelles normes sociales partagées, qui se sentent marginalisées, exclues et stigmatisées et qui cherchent une autre forme d’appartenance. Cette jeunesse est en proie à de vives inquiétudes et ne trouve pas de place au sein de la société; elle adopte des valeurs d’une sous-culture qui diffèrent des normes sociales des autres composantes de la société. Leurs façons de faire, de voir les choses et leurs règles sociales sont tellement différentes que, de nos jours, une personne ayant écopé d’une peine de réclusion sera bien vue par ses acolytes.
Ces jeunes subissent une mauvaise influence et s’adonnent à de nouvelles pratiques d’échange social et à d’autres formes de communication largement répandues par des idoles tout aussi responsables qu’eux des actes commis. Ce que nous avons vu samedi soir et lors du match TAS-CODM (le mardi 2 mai 2023 à Casablanca, ndlr) n’est que le reflet des problèmes qui rongent notre société depuis des années. C’est le miroir de notre société que nous refusons de voir.
Si vous en avez personnellement la possibilité, iriez-vous voir le 12 mai 2023 la demi-finale de la Ligue des champions Wydad-Sundowns qui se tient justement au Stade Mohammed-V?
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