Séisme au Maroc : « Contrairement aux architectures en béton armé … – La Tribune.fr
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LA TRIBUNE – La reconstruction des habitations dans les zones montagneuses de l’Atlas, où le bilan humain a été le plus élevé, nécessite d’intégrer des normes anti-sismiques mais aussi, selon le Roi, de réaliser ces travaux « en harmonie avec le patrimoine de la région et qui respecte ses caractéristiques architecturales uniques ». Comment voyez-vous un tel chantier ?
SALIMA NAJI – Le principe des instructions royales est de répondre à la fois aux normes climatiques et parasismiques : c’est pour cela que les matériaux locaux sont souverains. Dans le Haut-Atlas, nous avons la chance d’avoir une architecture millénaire qui résiste à l’imposition des techniques importées et mal maîtrisées du béton armé. Cette architecture de « collecte » est construite avec les matériaux à disposition (pierre/terre/bois) et est adaptée au milieu : chaude l’hiver malgré la neige, fraîche l’été malgré la canicule. Cette architecture est durable, elle n’impacte pas l’environnement et il y fait bon vivre.
En outre, les techniques historiques mobilisant pierre, terre et bois sont tout à fait compatibles avec la prise en compte du risque sismique. La question est le respect de mises en œuvre spécifiques qui permettent au bâtiment de tenir face à la secousse sans s’effondrer brutalement. La législation parasismique en vigueur au Maroc intègre ces matériaux, il suffit de l’appliquer.
Je dirige, depuis les études entamées en 2017, le chantier de la reconstruction de la forteresse d’Agadir détruite en 1960, où nous avons pu observer que certaines techniques ancestrales, comme les remparts saadiens Est et Sud, ont très bien résisté au tremblement de terre. Et, pour la plateforme d’accueil du public (point d’orientation, café, sanitaires) construite entre 2020 et 2022, en hommage aux victimes de 1960, qui avaient péri pour beaucoup à cause des dalles de béton effondrés sur elles, nous avons construit un mur parasismique « ductile » qui consiste à alterner la pierre sèche et le bois. Ce système de chaînage du bâtiment existe au Maroc dans le Haut-Atlas central, mais aussi au Népal, en Himalaya indien ou au Pakistan. Il est utilisé depuis des millénaires et continue d’être choisi, car il sauve des vies. La Croix Rouge l’a d’ailleurs employé après la catastrophe du Népal en 2015 comme modèle pour la reconstruction en éditant une charte.
Ayant participé aux missions de diagnostic dans le Haut-Atlas après le séisme, j’ai pu constater que si certains sites sont particulièrement effondrés, car établis sur des sols instables, à proximité de l’épicentre ; en revanche, de très nombreux hameaux ont résisté. Les constructions en pisé se sont ouvertes sur leurs superstructures, car elles disposaient d’un chaînage en bois qui a sanglé les niveaux et maintenu la construction debout. Ceci est une chance car, contrairement aux architectures en béton armé, cisaillées et complètement fissurées qui sont jetables, les constructions en pisé pourront être réparées. Ces bâtisses sont, en effet faciles, et très peu coûteuses à réparer, d’autant que la main d’œuvre locale maîtrise ces techniques.
Il faut aussi souligner que de très nombreux bâtiments récents en béton se sont aussi effondrés. Ces dernières décennies, il y a eu des soi-disant « améliorations » avec des parties en béton armé, des dalles mal installées. De nombreux bâtiments intégralement en béton ne respectaient aucunement les normes en vigueur. Ces architectures hétéroclites se sont effondrées malgré leur apparence de sécurité que le tremblement de terre a fait voler en éclats… Et à la différence des demeures de pierre et de terre, elles génèrent une très forte pollution de gravats non-recyclables qu’il faudra dégager.
Comment peut s’opérer concrètement la reconstruction ?
Je ne parlerai pas de reconstruction, mais de réparation, et ce sera au cas par cas. Localité par localité. Il y a des zones de bourgs ruraux, traversées par des routes, assez bien desservies, qui ont connu une croissance rapide ces dernières années et qui ont tourné le dos aux techniques traditionnelles. Ce sont désormais des champs de ruines. Il faudra mobiliser des techniques mixtes comme je l’ai fait à plusieurs dizaines de reprises dans les provinces de l’Anti-Atlas. Établir un chaînage en bois préférablement au béton armé puis construire tous les murs en pierre ou terre pour concilier respect de l’identité régionale, adaptation aux extrêmes climatiques et réduction de la pollution.
En outre, il est nécessaire aussi d’étudier convenablement ces localités avant de savoir ce que l’on doit y faire. Est-ce que les personnes meurtries dans leur chair voudront revivre sur les sites ? L’expérience d’Agadir m’a appris aussi à tenir compte des mémoires des survivants et des survivantes. La logique de la table rase enfouit des traumatismes et des souffrances empêchant aux survivants de faire leur deuil et de dépasser la catastrophe. L’architecture propose aussi – lorsqu’elle est bien étudiée – une modalité permettant de prendre soin des survivants en offrant un horizon de dignité.
Les ingénieurs contemporains arriveront-ils à se mettre à la hauteur des enjeux? Aujourd’hui, formés selon les logiques du XXe siècle, ils sont dépassés par les défis du XXIe siècle. Ils s’appuient sur des logiciels standardisés incapables de tenir compte des spécificités locales.
Ce qui a frappé les observateurs, notamment internationaux, a été la capacité du pays sous l’impulsion du Roi Mohamed VI à réagir rapidement à la catastrophe par ses propres moyens et grâce à la mobilisation de ses citoyens. Comment expliquez-vous cela?
La société marocaine a une très forte capacité à se mobiliser face à la catastrophe. Cette mobilisation se fait à toutes les échelles de la société selon des solidarités imbriquées. Dès la première secousse, les communautés villageoises se sont organisées en utilisant notamment les machines servant au déneigement et à l’entretien des routes. Parallèlement, la mobilisation nationale a concerné tous les secteurs, de l’armée à la société civile. En quelques jours, toutes les routes ont été dégagées, les hôpitaux de campagne mis en place, la nourriture, les tentes, distribuées. Les grandes fondations du royaume ont pris en charge nombre de besoins et aussi soin des enfants rescapés. Dans toutes les villes, des collectes ont été organisées et des convois sont partis pour tous les villages au point de saturer très rapidement la région.
À l’échelle gouvernementale, un fonds d’urgence a été immédiatement mis en place pour assurer un soutien aux populations affectées. Ce dispositif s’inscrit dans la même logique que celui de 2020, lors de la crise sanitaire du Covid-19. Les autorités marocaines disposent désormais d’une forte expérience pour organiser une réponse face à la catastrophe en assurant un maillage du territoire concerné pour apporter les secours immédiats et en organisant la solidarité nationale pour indemniser les victimes, mais aussi reconstruire les infrastructures.
Mais pour le comprendre, il faut évoquer ici le mot « makhzen », souvent utilisé pour désigner le mode de gouvernement du Maroc. Historiquement, et littéralement, il renvoie à une institution visant à surmonter les crises. Le bit el-khazîn, makhazin ou makhzen – makhazin a donné en français le mot « magasin » -, désigne le lieu où les grains sont conservés sous la responsabilité d’un corps de fonctionnaires. À la moindre crise alimentaire, ses grains étaient distribués à la population urbaine la plus fragile. Les différents sultans ont laissé d’immenses entrepôts en pisé qui n’étaient bien sûr pas pour leur consommation personnelle, mais pour les populations les plus précaires. Ce mot renvoie aussi aux greniers à blé désignés par le terme d’« agadir » en tachelhit, makhazin, en arabe. Institution toujours vivante au Maroc, c’est un lieu de stockage des récoltes, mais surtout d’organisation de la charité où chaque agriculteur partage un dixième de sa récolte au bénéfice des plus pauvres, des écoles religieuses, des veuves. Tout un dispositif est mis en place pour que l’institution du grenier collectif prenne en charge les plus démunis.
La France a été déçue de ne pas avoir été choisie pour participer aux secours. On a pu noter aussi un certain désamour des Marocains à l’égard de la France, malgré les liens étroits qui unissent les deux pays. D’où vient ce sentiment?
Il faut distinguer l’analyse des politistes de celle des sociologues et anthropologues. Il y a une forte confusion entre les médias, les réseaux sociaux et les réalités sur le terrain. Il ne faut pas confondre les problèmes actuels de la politique étrangère française, qui traverse une crise structurelle à l’échelle planétaire, et les liens humains très forts entre la France et le Maroc. Des millions de Français, de Franco-marocains, de Marocains vivant en France se sont mobilisés dès les premières heures du tremblement de terre. Ce sont aussi ces mêmes personnes qui vont permettre aux zones sinistrées de surmonter cette épreuve. Ces vallées sont inscrites dans des dynamiques internationales liant entraide de la diaspora, tourisme familial, tourisme international, actions associatives. Plus vite ces dynamiques seront réactivées, plus vite les communautés pourront mettre en place un équilibre alliant activités agricoles, accueil touristique, mais aussi permettre à ceux et celles qui souhaitent se réinstaller de le faire dans des conditions dignes.
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Propos recueillis par Robert Jules
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