Archives LVE. 1923 : Le crédit, le chèque et la banque – La Vie Éco
Il y a 100 ans, l’idée de création de la première entreprise bancaire marocaine commençait déjà à prendre forme. La mission du financier est en débat.
Publié le
à
Par
Je reviens aujourd’hui sur la question bancaire au Maroc, question primordiale dans la reprise éventuelle des affaires.
L’on a accusé les banques d’avoir, à Casablanca, voici plus de deux ans, précipité la catastrophe économique en arrêtant net l’escompte. Mais comme l’enquête d’Etienne Lambert le démontre, si la Finance a compromis la prospérité du Maroc, ce n’est pas en fermant le robinet de l’escompte, mais bien en accordant des crédits fabuleux à des hommes bibendum gonflés sans vergogne par des personnalités officielles et que leur passé aurait dû suffire à éliminer du champ de la confiance.
L’un d’entre eux se vantait auprès de moi, en 1919, de pouvoir tirer un chèque de cent mille francs sans avoir un sou en banque et que ce chèque serait payé sans qu’il ait même besoin de prévenir.
C’est de là que provient le malaise général du commerce marocain, parce que ces aventuriers, disposant pour ainsi dire d’un crédit illimité et n’ayant rien à perdre puisqu’en fait ils ne possédaient rien en toute propriété, ont créé un mouvement factice d’affaires d’une intensité telle qu’une sorte de folie spéculative, élevant à des hauteurs prodigieuses les prix du sol et de construction pour ensuite – à l’heure où la raison revenant, les financiers arrêtèrent leurs méfaits… c’est-à-dire leurs libéralités, – laisser le tout s’écraser lamentablement dans la crise actuelle..
Donc hier le rôle des banques fut pernicieux. l’est-il aujourd’hui ?
Je ne saurais me prononcer en toute certitude. L’escompte désormais est normal, rationnel, se pratique, en dépit des grincheux, sur une assez vaste échelle. Ce serait retomber dans l’erreur de la veille qu’étendre davantage le crédit.
Mais le rôle du financier réside-t-il dans le seul escompte ? Non ! son rôle est de contribuer effectivement au développement du pays, à sa mise en valeur et, n’en déplaise à notre ami Santol, à son industrialisation.
Ici, il convient de noter l’effort de la Banque de Paris qu’entre parenthèses nous n’aimons guère, et qui s’est lancée au Maroc, dans de grosses entreprises, sinon toujours avec le même succès, toujours avec la même audace, le même esprit d’initiative. Que cet établissement ait été aidé par le Protectorat; qu’il tente de s’approprier les meilleures affaires, c’est absolument normal et le reproche d’accaparement à lui adressé tombe devant l’inaction désespérante des autres banques. Agissez, Messieurs de la Finance, et vous pourrez alors taxer la Banque de Paris de pieuvre aux mille tentacules. Jusque-là, taisez-vous et restez derrière vos comptoirs à escompter et réescompter, couvrant vos frais généraux à l’aide de commissions formidables, souvent inexplicables, prenant un peu de la vie des petits pour vivre sans rien apporter au pays.
Si l’on reprenait les motifs invoqués pour la création de la première entreprise bancaire et si l’on faisait un parallèle avec le fonctionnement actuel, quel abîme séparerait la finance de ce qu’elle était destinée à être !
Une constatation pénible, attristante, trop éloquente, hélas ! que nous avons faite depuis la guerre, veut que les banques se multiplient quand les affaires meurent. C’est là le plus sûr indice de notre décadente, car nous ne comprenons plus, nous ne raisonnons pas, nous laissant stupidement emporter par le courant des jours dans l’acceptation d’une altération de plus en plus forte et combien dangereuse de ce qu’on appelle encore le bon sens, le vrai, des réalités. Pour réagir contre un pareil affaissement général, si on le peut encore, il faudrait dans toutes les choses revenir à l’étude du pourquoi ? et du comment ? base de la philosophie éternelle… Et surtout que l’intérêt de chacun ne forme pas obstacle à la régénération nécessaire de la Finance.
Quant à la petite banque, qui pourrait rendre tant de services – je l’ai déjà écrit dimanche dernier ici –, elle est en fait inexistante au Maroc, et je ne la crois pas susceptible de retenir l’attention.
© La Vie éco 2023. Tous droits réservés.