Physique et métaphysique du séisme au Maroc – Jeune Afrique – Jeune Afrique
Par Fouad Laroui
Écrivain
Fatima Zahra a dû quitter sa maison défigurée par le séisme qui a frappé le Maroc. Habitante de Douar Larab, juste à côté de l’hôpital de campagne, elle s’est installée dans une tente de fortune, en face de chez elle. © Paulin Amato pour JA
Chaque Marocain se souviendra de ce qu’il faisait au moment précis où la terre a tremblé dans son pays, vendredi 8 septembre dernier. En ce qui me concerne, j’étais chez moi à Benguerir et je lisais Les Jours, l’autobiographie de Taha Hussein, en sirotant du lait chaud à l’anis. Mais ces détails n’ont aucune importance, pardon pour la digression.
Quand la secousse a commencé, accompagnée d’un grondement effrayant, j’ai cru qu’un des F5 de la base aérienne (qui se trouve à deux kilomètres de chez moi) s’amusait à passer en rase-motte au-dessus de ma tête. Mais quand les murs se sont mis à trembler et qu’un tableau est tombé derrière moi, j’ai compris que c’était un tremblement de terre. En quatre enjambées, je me suis retrouvé dans le jardin. Mes voisins américains étaient dehors, eux aussi.
– C’était bien la peine de quitter la Californie et la faille de San Andreas…, grommelait Robert.
– Comment dit-on « séisme » en arabe, s’enquérait Helena, toujours pragmatique.
La soirée fut longue et mouvementée, on a vu les images, donc je n’insiste pas. Tout de même, une chose m’a frappé au cours de la journée de vendredi et dans les heures qui suivirent. Une dichotomie caractéristique de maint pays musulman – mais peut-être aussi de la Bible belt américaine – est apparue dans les émissions de radio et de télévision. La voici :
1. Les experts et les journalistes expliquaient le séisme par des considérations scientifiques.
2. Les gens interrogés dans la rue l’expliquaient par « la colère de Dieu ».
Les premiers – tout aussi Marocains et musulmans que les autres – expliquaient qu’un séisme résulte de la brusque libération d’une quantité phénoménale d’énergie accumulée par les contraintes exercées sur les roches dans les profondeurs de la croute terrestre, à cause de la tectonique des plaques. Cette explosion d’énergie se fait par rupture le long d’une faille préexistante – on les connaît toutes, elles sont cartographiées avec précision. Tout cela est parfaitement connu et enseigné dans toutes les universités du monde, même chez les tenants du wahhabisme, même dans les pays où sont influents les fondamentalistes chrétiens, juifs ou hindous.
Les seconds attribuaient la cause du séisme à une saute d’humeur de Dieu, outré par le manque de piété des hommes ou par le fait qu’on ne respectait plus les valeurs familiales (j’ai vraiment entendu cet argument samedi dernier à la radio), etc. Je n’ai pas ouï la fameuse explication du tremblement de terre par la mini-jupe ou par le maquillage ou par les chevelures dévoilées dans les rues (bref, c’est la faute des femmes), mais nul doute qu’on l’a ressortie ici ou là.
Maintenant, vous vous attendez à ce que je décrète que les premiers ont raison (ils ont raison) et que les seconds sont nuls, incultes, bornés, bigots, etc.
Pas du tout. Je plaide pour autre chose : pour la séparation de la science et de la métaphysique.
Si un bigot tient à me postillonner à la figure en braillant que Dieu nous a punis collectivement vendredi 8 septembre pour je ne sais quelle raison (trop de décolletés dans les rues ?), je suis prêt à lui donner raison ; mais à une condition : qu’il admette que Dieu n’a utilisé pour son châtiment que les lois de la physique et rien d’autre : brusque libération d’une énorme quantité d’énergie, contraintes exercées sur les roches, tectonique des plaques, failles, etc.
Que les bigots nous accordent le comment des choses et le droit de l’enseigner dans les écoles, et nous ne ferons que cela : nous leur abandonnons volontiers le pourquoi, à condition qu’ils le propagent ailleurs que dans les écoles.
Et Dieu reconnaîtra les siens.
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