Pédophilie au Maroc : "Kif Mama Kif Baba" revendique une refonte du code pénal – Hespress Français
Jusque-là considérés comme des sujets tabous, les abus sexuels à caractère pédo-criminel deviennent de plus en plus médiatisés. De l’affaire de Tiflet à la vidéo d’El Jadida, ces crimes odieux font sortir les associations et les ONG de leurs gonds.
Il est grand temps d’agir et de faire sortir la société de son silence. La pédophilie est une menace qui rôde sur le Maroc. Et face à ce flot répétitif de crimes, les responsables se détournent, distraits par d’autres incidents, d’autres tragédies. Et les voix des victimes se taisent, perdues dans l’écho de l’indifférence sociale et juridique.
Tout d’abord, rappelons que l’article 486 du code pénal édicte que le viol commis sur la personne d’une mineure de moins de dix-huit ans, d’une incapable, d’une handicapée, d’une personne connue pour ses facultés mentales faibles, ou d’une femme enceinte, est puni de la réclusion de dix à vingt ans. Pourtant, un certain laxisme règne sur le code pénal marocain.
Contactée par Hespress Fr, Ghizlane Mamouni, avocate au barreau de Paris et co-fondatrice de l’association féministe Kif Mama Kif Baba, nous a confié qu’il « n’existe pas de crimes spécifiquement liés à la pédo-criminalité. Aux yeux de la loi marocaine, il y a le viol et l’« attentat à la pudeur » et le fait qu’ils soient commis sur des mineurs constitue simplement une circonstance aggravante… que le juge a le droit de contourner en invoquant des circonstances atténuantes ».
C’est un défi complexe qui nécessite la collaboration de différents acteurs. Chaque jour au Maroc, des dizaines de condamnations pour des actes de pédo-criminalité sont prononcées et, dans 80 % des cas, la moyenne des peines est de trois ans alors que le maximum prévu par la loi atteint 30 ans de réclusion criminelle, nous fait savoir l’avocate. Le fait que ces affaires soient aujourd’hui l’objet d’un débat public pousse les services de police, les procureurs et les magistrats à être plus sévères.
Le dossier de la petite S. de Tiflet a nécessité une armée d’avocats, une manifestation populaire, une mobilisation de la société civile, une couverture médiatique nationale et internationale massive et un soulèvement de l’opinion publique, rappelle notre interlocutrice.
« Pour des peines finalement 30 à 50 % inférieures aux maximums légaux et l’absence de requalification des faits en viol, seul l’euphémisme attentat à la pudeur est retenu », se désole la militante pour les droits de la femme et de l’enfant.
Alors que l’indignation et la colère suscitées par le cas de la petite S. occupent tous les médias et les réseaux sociaux, la cour d’appel de Meknès condamne un homme coupable d’« attentat à la pudeur » sur enfant à six mois de prison ferme (et dix-huit mois de sursis), seulement…
Une semaine plus tôt, le violeur d’une fillette de six ans est condamné en première instance à El Jadida à deux ans de prison ferme, seulement…
L’année dernière, à Tétouan, un enseignant dans un lycée pour filles en internat, reconnu coupable d’« attentat à la pudeur » sur plusieurs de ses élèves, est condamné à deux ans de prison avec sursis, seulement…
Et le dernier scandale en date est celui du pédophile d’El Jadida, qui vient s’ajouter à la liste des actes abominables commis contre toute l’enfance marocaine, cite la spécialiste.
« En dehors des cas médiatisés, les pédo-criminels prospèrent dans l’impunité, à l’ombre d’une justice complice », réitère notre interlocutrice.
En effet, le dernier incident écœurant remet à table le débat sur l’efficacité de l’arsenal juridique pour lutter contre ces crimes. Les peines appliquées au Maroc contre les auteurs de ce crime ne sont guère adaptées à l’atrocité de l’acte et à ses effets sur toute la société, notant toutefois que c’est l’application des textes juridiques dans les tribunaux qui laisse à désirer.
Techniquement, la loi donne un pouvoir discrétionnaire au juge de retenir des circonstances atténuantes au profit du condamné lorsque la sanction pénale prévue par la loi lui paraît excessive par rapport à la gravité des faits ou à la culpabilité de l’auteur.
« Le jugement de première instance, dans l’affaire de la petite S., qui aurait pu condamner à des peines de 10 à 30 ans de prison, a réduit la peine à deux ans en invoquant les circonstances atténuantes suivantes : la situation sociale des accusés, le fait qu’ils n’ont pas de précédent judiciaire et le caractère excessif des peines prévues par le code pénal (de 10 à 20 ou 30 ans en cas de viol) », explique l’avocate.
En quoi la situation sociale d’un violeur rend le viol moins grave ? Pourquoi les peines prévues par la loi paraissent excessives devant ces crimes sexuels sur enfants ?, se questionne Ghizlane Mamouni, notant qu’il faut interroger la sociologie des juges. Mais l’image que nous donnons de notre société à travers ces jugements est que les crimes sexuels sur enfants sont considérés comme des infractions mineures au Maroc.
La loi marocaine ne pose aucune condition de non-consentement ou de majorité sexuelle comme c’est le cas dans d’autres pays, s’indigne la co-fondatrice de l’association féministe Kif Mama Kif Baba.
« Dans une société patriarcale qui normalise la pédo-criminalité et la culture du viol, les hommes ne peuvent s’empêcher de penser qu’un enfant aurait le discernement nécessaire pour exprimer un consentement », ajoute notre intervenante.
Il est essentiel que les autorités prennent des mesures immédiates et rigoureuses pour protéger nos enfants. Les lois doivent être renforcées, des peines sévères doivent être prononcées, et une sensibilisation accrue doit être instaurée.
« Kif Mama Kif Baba, comme d’autres associations féministes, revendique : la refonte globale du code pénal avec la définition d’infractions spécifique à la pédo-criminalité, la formation et la sensibilisation des juges aux infractions sexuelles contre les enfants et la sensibilisation des citoyens pour une prise de conscience de la gravité de la pédo-criminalité dans notre société », demande avec ferveur la militante sociale.
Ces récits omniprésents de criminels s’en tirant avec des peines minimes sont un affront à la dignité humaine.
Pour conclure, Ghizlane Mamouni estime que « les victimes de violences sexuelles sont mortifiées à l’intérieur d’elles-mêmes par ces crimes odieux. Les viols sont des crimes de sang et, s’ils considérés comme tels par la loi qui, malgré ses lacunes, prévoit bien des peines sévères, les juges sont laxistes dans l’application de ces peines ».
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