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Pression russe, dépendance africaine : la nouvelle géopolitique des … – Alternatives Économiques

Les pays africains dépendants des importations de céréales sont frappés par la hausse des prix liée à la guerre en Ukraine et au choix de Moscou de se retirer de l’accord céréalier en mer Noire.
Vladimir Poutine distribue les céréales russes comme des lots de consolation. Au sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet, le président russe a promis la livraison gratuite de 25 000 à 50 000 tonnes de céréales à six pays (Burkina Faso, Zimbabwe, Mali, Somalie, Centrafrique et Erythrée) dans les mois qui viennent.
Il tente ainsi de rassurer les dirigeants du continent, après son retrait le 17 juillet de l’accord qui permettait l’exportation de grains ukrainiens via la mer Noire. Il avait permis de faire sortir…
Vladimir Poutine distribue les céréales russes comme des lots de consolation. Au sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet, le président russe a promis la livraison gratuite de 25 000 à 50 000 tonnes de céréales à six pays (Burkina Faso, Zimbabwe, Mali, Somalie, Centrafrique et Erythrée) dans les mois qui viennent.
Il tente ainsi de rassurer les dirigeants du continent après son retrait le 17 juillet de l’accord qui permettait l’exportation de grains ukrainiens via la mer Noire. Il avait permis de faire sortir 33 millions de tonnes de céréales par voie maritime depuis son entrée en vigueur, le 22 juillet 2022. Plusieurs leaders africains ont critiqué la rupture du deal. Le président de la Commission de l’Union africaine a ainsi dit qu’il la regrettait et a exhorté les deux parties à s’entendre pour reprendre les exportations ukrainiennes « vers les pays qui en ont besoin, en particulier en Afrique ».
Le continent est en effet particulièrement touché par la crise des produits alimentaires, déclenchée par l’invasion russe en Ukraine en février 2022. Avant la guerre, 17 pays africains dépendaient à plus de 50 % de l’Ukraine et/ou de la Russie pour leurs importations de blé selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Parmi eux, la Somalie, la Tunisie ou encore la Libye achetaient majoritairement leur blé à Kiev.
Si la guerre causée par l’invasion russe a perturbé la production et les exportations ukrainiennes, elle a eu un impact marginal sur les ventes russes à l’étranger car le secteur n’est pas touché par les sanctions. Cependant, le principal impact délétère est la hausse en flèche des prix des matières agricoles.
« On produit assez de nourriture pour nourrir la planète. Le problème c’est la situation économique, qui entraîne de la pauvreté et qui empêche donc les ménages de pouvoir acheter cette nourriture », rappelle Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation Farm, un think tank consacré aux questions agricoles et rurales.
L’impact de l’accord de la mer Noire sur les prix est majeur. En juillet 2022, le cours du blé avait dépassé les 400 euros la tonne, soit le double du prix du mois de juillet de l’année précédente. Mais l’accord, signé à la mi-juillet, avait permis la baisse des cours et la reprise des exportations maritimes ukrainiennes.
« À chaque fois que l’accord a approché de son expiration [il a été renouvelé deux fois, NDLR], le prix des matières agricoles sur les marchés est reparti à la hausse. C’est également le cas ces derniers jours », signale Marine Raffray, agroéconomiste au service d’études des Chambres d’agriculture.
Le cours du blé tendre français tournait fin juillet 2023 autour de 250 euros, contre 220 au début du mois, par exemple.

Réorientation des maigres exportations ukrainiennes

En parallèle, les exportations ukrainiennes se sont progressivement reportées sur le rail, la route et les voies fluviales (sur le Danube), en utilisant les infrastructures de transport de l’UE. Sur les 12 premiers mois du conflit, ces « corridors de solidarité », comme ils ont été nommés par la Commission européenne, ont représenté environ 50 % des exportations ukrainiennes. Une part importante, mais qu’il faut nuancer car le montant total des exportations a fortement baissé. Pour reprendre l’exemple du blé, sa vente à l’export a diminué de 40 % en volume en 2022 par rapport à la moyenne des cinq dernières années (base de données TDM1).
Pour justifier son retrait de l’accord en mer Noire, Vladimir Poutine a estimé que moins de 3 % des exportations sont allées à des pays pauvres, tandis que 70 % ont été captées par des pays à revenus élevés et principalement à l’UE. Il reprend ainsi les données du centre de coordination de l’Initiative, une structure qui rassemble des représentants de l’Ukraine, de la Russie, de la Turquie et de le l’ONU.
« La Russie prend en otage la sécurité alimentaire de nombreux pays et cherche à profiter de cette crise politiquement » – Lauriane Devoize, Conseil européen pour les relations internationales
Mais le président russe joue un peu avec les définitions des catégories. Ainsi, 44 % des exportations ont été envoyées vers des pays à haut revenu, principalement de l’UE. 37 % sont allées à des pays à revenu « moyen-supérieur », catégorie qui regroupe la Chine, la Libye ou encore l’Irak. Viennent ensuite les pays à revenu « moyen inférieur » (17 %) et ceux à revenu faible (2,5 %).
Il faut également souligner que ces données n’indiquent pas le pays consommateur final des denrées et que l’Union européenne réexporte une partie des céréales vers les pays africains, dans une proportion qu’il est très difficile de calculer, selon les experts. De même, la Turquie, important hub de transformation de blé qui est ensuite réexporté, est le deuxième pays destinataire de blé ukrainien dans le cadre de cet accord (1,6 million de tonnes).

L’Afrique tente de réagir

Du côté des pays dépendants des importations, la baisse des achats ukrainiens est forte, allant par exemple jusqu’à – 70 % en Egypte ou encore – 79 % au Bangladesh. « La Russie en a profité pour se substituer aux grains ukrainiens, le pays pratiquant des prix assez compétitifs », indique Marine Raffray.
La France, grand producteur agricole, s’est également positionnée. Selon la base de données TDM, ses exportations de blé vers l’Egypte ont été multipliées par 10 en valeur entre 2021 et 2022. « Il y a un effet hausse des prix, mais c’est tout de même colossal », estime l’agroéconomiste.
Pour répondre à cette crise liée à l’inflation alimentaire, les pays africains ont pris des mesures économiques : subventions directes pour faire baisser les prix finaux pour le consommateur, suppression des droits de douane, blocages des prix. Le Caire a annoncé allouer 3,8 milliards d’euros pour son système de subvention alimentaires sur les douze mois de l’exercice 2023-2024. Cette politique consiste en un blocage des prix pour les personnes disposant d’un carnet de rationnement.
« La situation est en général très difficile pour les ménages, qui achètent moins de nourriture », signale Matthieu Brun. « C’est d’autant plus difficile que les dépenses alimentaires représentent environ 40 % des dépenses des ménages en Afrique », ajoute Lauriane Devoize, chercheuse associée au sein du think-tank ECFR (Conseil européen pour les relations internationales). Le dernier rapport de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture estime ainsi que 122 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim en 2022 dans le monde par rapport à 2019, c’est-à-dire avant le Covid-19 et la guerre en Ukraine.
La pandémie avait soulevé la question de la souveraineté alimentaire en Afrique. L’invasion russe et l’inflation ont accéléré les projets en faveur de l’autosuffisance. Plusieurs pays ont ainsi lancé ou relancé des productions de céréales. Le Sénégal a par exemple moissonné ses premières récoltes expérimentales de blé en mai. Dakar dépend pour l’instant intégralement des importations pour sa consommation annuelle de 800 000 tonnes. L’UE soutient ces politiques, notamment au travers du troisième pilier de l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), qui vise à accompagner une production agricole durable et locale dans les pays en développement.

Le long chantier de la souveraineté alimentaire

« D’autres territoires sont contraints par les conditions climatiques. C’est le cas de l’Egypte, qui cultive déjà des céréales le long du Nil mais ne peut faire davantage car dès qu’on s’en éloigne, c’est le désert. Difficile dans ces conditions d’accroître sa souveraineté alimentaire, alors que la population égyptienne devrait continuer d’augmenter », analyse Matthieu Brun. Le pays comptait 106 millions d’habitants en 2022, et sa population continue de croître de 3,7 % par an.
« La relance d’une production agricole mettra toujours plus de temps que celui de l’urgence de la crise alimentaire, qui est immédiate, pointe Marine Raffray. On n’arrêtera donc pas les flux d’importation du jour au lendemain. »
Moscou reste un nain économique en Afrique, représentant 14 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2021, contre 295 milliards pour l’UE et 254 pour la Chine
Tous les pays d’Afrique ne sont cependant pas dans la même situation critique. Ceux qui sont exportateurs d’engrais ou d’énergie font rentrer des devises – car leurs prix ont augmenté – et peuvent ainsi s’offrir des produits alimentaires venus de l’étranger. C’est le cas de l’Algérie ou du Maroc notamment.
Face à la crise alimentaire, Vladimir Poutine compte bien utiliser sa puissance agricole pour attacher plus solidement ses partenaires africains à la sphère d’influence russe. « En intervenant pour la sécurité alimentaire de ces pays, la Russie va prendre de plus en plus de place dans leur économie », signale Matthieu Brun de la fondation Farm. Une dépendance qui s’ajoute à celle, désormais bien installée, de nature militaire ou sécuritaire avec l’implantation de la société paramilitaire Wagner en Centrafrique, au Mali, ou encore au Soudan.
« La Russie prend en otage la sécurité alimentaire de nombreux pays et cherche à profiter de cette crise politiquement. En entravant les exportations de l’Ukraine et en détruisant ses infrastructures de stockage de céréales, elle affaiblit économiquement son adversaire. Dans le même temps, Poutine se fait passer pour celui qui va livrer du blé à tout le monde », décrit Lauriane Devoize.
Le sommet a été l’occasion pour le chef du Kremlin de déployer son discours anti-occidental, en déclarant que Moscou travaillerait avec les pays africains « à la formation d’un ordre mondial multipolaire » et à lutter contre le « néocolonialisme ». Narratif qui a été largement partagé sur les réseaux sociaux pro-russes.

La Russie n’a pas convaincu tout le monde

Au-delà des publications de Moscou glorifiant les progrès des relations russo-africaines, le bilan du sommet est plus nuancé. « Les pays partenaires de la Russie, comme la Centrafrique ou le Mali, ont certainement obtenu la réassurance qu’elle resterait un interlocuteur privilégié en termes de sécurité », explique Lauriane Devoize.
Mais pour les autres, qui poussaient une médiation africaine de paix et souhaitaient le retour de Moscou dans l’accord céréalier en mer Noire, le bilan est tout autre, ces pays étant rentrés bredouilles. Selon les calculs de la chercheuse, les livraisons gratuites de céréales promises aux six pays ne représenteraient qu’environ 5 à 10 % de ce que permettait l’accord russo-ukrainien chaque mois.
« La Russie ne semble pas en capacité d’offrir autre chose. Il y a un décalage entre sa communication offensive d’un côté et la réalité du partenariat de l’autre », poursuit Lauriane Devoize. Moscou reste un nain économique en Afrique, représentant 14 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2021, contre 295 milliards pour l’UE et 254 pour la Chine.
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