Afrique, France et Russie : que se passe-t-il réellement ? – Challenge.ma
Depuis quelques années, la résurgence des coups de forces militaires sur le continent africain crée la stupeur au sein des Etats et met à mal plusieurs décennies de diplomatie. La Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso, le Soudan, et maintenant le Niger… La Russie, dans un “Hard power », est en train de faire de l’Afrique un territoire stratégique.
En novembre 2019, l’on se rappelle du forum de Sotchi, qui a mobilisé bon nombre d’acteurs politiques du continent africain y compris un parterre d’agitateurs prêts à se mettre aux ordres de Moscou. Le pronunciamiento d’une des participantes qui a fait le tour des groupes numériques anti-français et américain en Afrique a été pour nous observateurs le point de démarrage du grand projet Russie-Afrique.
Pilotage automatique des activistes africains, financements de média de propagande russe, opérations militaires, prise de contrôle de l’opinion africaine, construction de l’alternative russe dans l’imaginaire social…le réseau Prigojine, bras armé de la diplomatie du kremlin en Afrique conduit un vaste programme dont l’objectif est clair et affirmé.
Une nébuleuse propagandiste
Nathalie Yamb, née le 22 juillet 1969 à Gränichen en Suisse, est une femme politique, activiste et militante suisso-camerounais. Installée en Côte d’Ivoire depuis 2007, elle a été depuis Abidjan, une proche de l’ancien président de l’assemblée nationale d’antan Mamadou Koulibaly. Depuis quelques années, Yamb a soudainement vu le combat panafricain comme une sorte d’alternative d’existence politique après la chute du régime Gbagbo ou elle profitait des largesses du pouvoir grâce à son mentor ou partenaire Mamadou Koulibaly. Ainsi, pour financer sa nouvelle odyssée politique, elle s’est liée aux réseaux russes. Se définissant elle-même comme la « Dame de Sotchi », depuis sa participation remarquée au sommet du même nom, en octobre 2019, elle est une des détractrices les plus en vue de la France et de ses alliés sur le continent – des prises de position qui lui ont d’ailleurs valu son expulsion de Côte d’Ivoire en décembre 2019.
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D’après un rapport de l’ONG Free Russia Foundation, Nathalie Yamb participe au réseau AFRIC (Association for Free Research and International Cooperation), une sorte d’organe d’influence monté par Prigojine pour protéger et promouvoir ses intérêts sur le continent. Selon ce rapport, Yamb a notamment participé à une de ses conférences dans un palace de Berlin, en janvier 2020, coorganisée avec la Fondation pour la protection des valeurs nationales, une structure similaire également liée à Prigojine et dirigée par le journaliste Alexandre Malkevitch. Comme plusieurs influenceurs politiques, elle a reçu le soutien de l’AFRIC, le bras armé de l’homme d’affaires Prigogine. Il a appuyé la création de sites internet et des dizaines de pages de médias sociaux, dont un nombre important ont été identifiés comme contrôlés par la Russie et supprimés par Facebook.
En Libye, nous l’avons vue avec la rénovation de Jamahiriya TV, et dans la plupart des pays francophones ciblés. Parmi les médias pro-Russe qui se démarquent est Afrique Media TV. Créée en 2011, la chaîne Afrique Media TV fait partie de Media Press Africa, une société basée à Douala, au Cameroun, qui publie également plusieurs éditions imprimées, dont Courrier Confidentiel et International Afrique Médias. Afrique Media TV s’est associée à L’AFRIC depuis septembre 2018, date à laquelle la chaîne a participé à l’organisation du groupe de façade russe Conférence « Iles de l’Espoir » à Madagascar. Depuis lors, le point de vente a consacré un temps d’antenne étendu à la promotion et à la couverture des événements de l’AFRIC, ainsi qu’à la diffusion d’interviews avec les membres de celle-ci tels que Vaiva Adomaityte, stratège britannique Clifton Ellis, militant béninois Qemal Affagnon, et la panafricaniste Nathalie Yamb. L’un des directeurs d’Afrique Media TV, Kemi Seba, militant panafricaniste franco-béninois a participé à plusieurs missions commandés de l’AFRIC, dont celles au Zimbabwe et à Madagascar.
Ben le cerveau du Mali…
Selon les services de renseignements du Quai d’Orsay, des émissaires russes ont coopté Adama Ben Diarra, leader du mouvement Yerewolo et membre du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition. À la fin de mai, Ben Diarra a organisé plusieurs manifestations à Bamako, y compris devant l’ambassade de Russie, pour réclamer le départ de la France et l’arrivée des Russes pour faire sortir le Mali de l’impasse. L’intéressé, lui, dément tout financement extérieur. « On a chassé IBK, on est maintenant en guerre contre la France, assène-t-il en sirotant son sachet de jus. La France, c’est l’ennemi. Celui qui n’a pas compris cela n’a rien compris », avait-il confié à Jeune Afrique.
Sacré Kemi
Aujourd’hui, le discours anti-français est devenu une véritable brèche pour les réseaux russes. Prigojine et ses lieutenants s’appuient sur des activistes anti-impérialistes parfois connus. « Ils repèrent les influenceurs dans les pays qui les intéressent pour les stipendier », affirme un diplomate français à Jeune Afrique. Kemi Seba, militant franco-béninois et fondateur de l’ONG Urgences panafricanistes, fait partie des personnalités qui ont ainsi collaboré avec les Russes. Ce dernier s’est exprimé sur ces relations lors d’une émission sur la chaîne Vox Africa, en octobre 2020. Il y racontait notamment avoir été invité plusieurs fois par Evgueni Prigojine. « Je l’ai rencontré en Russie, au Soudan et en Libye. Nous sommes vus un an après la campagne extraordinaire que nous avons menée contre le franc CFA, et il m’a dit : “Vous avez la capacité de toucher la jeunesse africaine comme très peu de gens sont capables de le faire. Je veux vous soutenir. Ceux qui sont contre nos ennemis sont nos amis”. »
Kemi Seba accepte son soutien logistique « à différents degrés », mais à une condition : « Si et seulement si Prigojine ne nous dit jamais ce que nous devons faire. » Selon lui, leur « compagnonnage » aura duré environ dix mois avant de s’arrêter à son initiative, après que Prigojine, lors d’un rendez-vous à Saint-Pétersbourg, lui a suggéré de passer à des actions violentes contre des symboles occidentaux, quitte à faire des dommages africains collatéraux.
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Le Réseau Prigojine
Rappelons que le point de départ de ce vaste programme se veut être le sommet de Sotchi, ou Moscou a lancé une vaste campagne de recrutement, par le biais d’outils de soft power appartenant au réseau Prigojine. Celui-ci organise régulièrement des conférences et des séminaires avec des leaders d’opinion pro-russes. Ces rencontres sont souvent pilotées par des institutions telles que l’Association for Free Research and International Cooperation (AFRICAFRIC) ou la Fondation de la protection des valeurs nationales. Lors de ces séminaires, il n’est pas rare d’apercevoir des figures de proue de la lutte contre la France-Afrique, aux premiers rangs desquels l’activiste Kemi Seba…
Bon nombre de médias russes se sont par ailleurs dotés d’une édition francophone pour toucher le plus de lecteurs possible en Afrique. Cette stratégie s’est révélée payante au Mali. Dans une étude parue en juillet 2021, portant sur « les pratiques et récits d’influences informationnelles russes en Afrique subsaharienne », le chercheur français Maxime Audinet a montré qu’en 2020, avec 16.628 visites par mois, le Mali est de loin le pays d’Afrique francophone où le site Russia Today France a été le plus consulté. Durant la même période, l’audience de Sputnik France a fortement crû dans le pays, avec 107.360 visites par mois, juste derrière le Cameroun. Ainsi tout comme elle le fait en Centrafrique, la Russie étend son réseau d’influence au Mali à travers les médias locaux. Depuis que les négociations entre Wagner et l’État malien ont été révélées, de nombreux titres adoptent une ligne éditoriale de plus en plus pro-russe. Et se font volontiers les relais d’informations diffusées par Russia Today France et Sputnik France. Le site franco-malien Maliactu (détenu par Séga Diarrah, qui a fait ses études en France et en Suisse), est sans doute celui qui va le plus loin. Arborant un bandeau « exclusif », il a, le 5 octobre dernier, publié une interview d’Alexandre Ivanov, le patron de la Communauté des officiers pour la sécurité internationale (Cosi), une officine installée à Bangui.
Le contrôle de l’opinion
En parallèle, et dans la tradition du « soft power » russe qui s’appuie plus sur le dénigrement des puissances concurrentes que sur sa propre valorisation, des entités liées à Evgueni Prigojine ont mis en place des opérations de désinformations ciblant spécifiquement l’Afrique subsaharienne. Ainsi, la société M Invest, qui servirait de couverture au groupe Wagner au Soudan à la manière de Lobaye Invest en République Centrafricaine, a mis en place une « stratégie de développement » visant à « renforcer l’influence informationnelle de la Fédération de Russie dans les pays africains » en développant notamment un « sentiment négatif vis-à-vis des États européens et des États-Unis ». Autre société parapluie utilisée par l’homme d’affaire pour conduire ses opérations d’influence en Afrique, l’AFRIC joue un rôle d’ingérence électorale et « entretient des liens étroits avec plusieurs sites panafricanistes africains, dont Radio Révolution panafricaine et Afrique Média, pour faire passer des messages pro-russes ou anti-français ». Enfin, sur les réseaux sociaux, deux campagnes informationnelles à destination de l’Afrique en parties imputées à Evgueni Prigojine et à d’anciens collaborateurs de l’Internet Research Agency ont été rendues publiques par Facebook (parallèlement à la deuxième, une campagne d’influence attribuée à des « individus associés à l’armée française » a aussi été signalée par le réseau social). Les contenus publiés vantant la présence russe dans la région, portent sur la vie politique des pays ciblés, y compris en période électorale, et critiquent la politique extérieure de la France et sa présence en Afrique subsaharienne. Ce troisième axe se traduitnotamment en République Centrafricaine sous la forme d’accusations de recolonisation, de diffusion de rumeurs de viols de jeunes filles par les soldats français ou de dénonciations de manipulation de la MINUSCA par la France.
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RCA : la société russe Wagner s’active pour des exploitations minières
Dans la localité de Yalinga, chef-lieu de la sous-préfecture de la préfecture de la Haute-Kotto, plus précisément sur l’axe Nzako que la société russe Wagner a décidé d’installer ses lourdes machines.
En effet, depuis la semaine dernière, un cargo russe Antonov, transportant de grosses machines d’exploitation minière, en provenance probablement de Bangui ou d’ailleurs, faisait des navettes aériennes vers Bria, chef-lieu de la préfecture de la Haute-Kotto. Mais dès son atterrissage, les machines ont été transportées à bord des gros camions à destination de Yalinga, plus précisément sur
l’ancien site minier exploité par des Sud-Africains dans les années 90. Ce que ces mercenaires russes ne savaient pas, leur passage dans la localité soulevée des nombreuses inquiétudes au sein de la
population. Il y’a lieu de rappeler que les villes de Yalinga, située à 170 kilomètres de Bria, dans la préfecture de Haute-Kotto, et de Nzako, située à 60 kilomètres de Bakouma dans le Mbomou, ont été
libérées des mains des rebelles du CPC par les mercenaires russes de la société Wagner au mois d’avril dernier. Toutefois, cette région est largement convoitée par certaines sociétés proches de la mafia
étrangère pour son sous-sol riche en or et diamant, voire même l’uranium.
Au tour du Niger…
Comme jeu d’echec, la Russie avance ses pions. Récement à la grande surprise de l’opinion que les forces armées du Niger, pays riche en uranium et enclin aux coups d’État, ont évincé Mohamed Bazoum le 26 juillet en invoquant l’aggravation de la situation sécuritaire liée à la violence djihadiste, à la corruption et aux difficultés économiques.Le putsch au Niger est le dernier en date en Afrique marquant un déclin constant de la démocratie selon plusieurs observateurs. Au cours des quatre dernières années, des militaires se sont emparés du pouvoir au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Tchad et au Soudan.
Comme au Mali et au Burkina, le dit changement a tissé ces toiles dans la matrice populaire. Rappelons que le groupe de la société civile a commencé à intensifier les manifestations anti-françaises au milieu de l’année 2022, lorsque le gouvernement de Bazoum a approuvé le redéploiement de la force française Barkhane au Niger, après que les soldats de la France ont reçu l’ordre de quitter le Mali.
L’armée comme dans les autres pays cités plus haut a dénoncé la mauvaise gouvernance, l’augmentation du coût de la vie et la présence des forces françaises. Les manifestations prévues par le M62 ont été interdites ou violemment réprimées par les autorités nigériennes. Le leader du M62, Abdoulaye Seydou, a été emprisonné pendant neuf mois pour « trouble à l’ordre public ».
Et à ce jour, ce mouvement semble remis en selle après l’éviction de Bazoum en organisant des manifestations dans la capitale du Niger, Niamey, en guise de soutien au coup d’État.
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Macron encore dans un dilemme…
« Ce qui s’est passé au Niger n’est rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre ses colonisateurs », aurait-il déclaré sur une chaîne Telegram affiliée à Wagner. Le chef du groupe mercenaire russe Wagner, Evgeni Prigojin, aurait qualifié l’opération de triomphe. De sont côté, le ministère français des Affaires étrangères a déclaré que le président Mohamed Bazoum était le seul dirigeant du Niger et qu’il ne reconnaissait pas les nouveaux putschistes.Il ajoute que la France « réaffirme avec la plus grande fermeté les exigences claires de la communauté internationale, qui demande le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel et du gouvernement civil démocratiquement élu au Niger ».Le ministre français de la Défense, Sébastien Lecornu, a déclaré que plus de 1 000 Français et autres Européens avaient été évacués du Niger.
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